Kira entre dans la coloc et tout va soudain très vite. J’ai du mal à tout saisir. Écouter et maintenir la barrière en place me demande un double effort presque inatteignable à cause de l’agitation en moi. Je suis soulagée qu’elle soit là, elle met fin au conflit d’une manière rigolote. Je sais pas comment la remercier, j’ai du mal à parler pour l’instant. En plus, je m’inquiète beaucoup pour Phil et ça n’aide pas à suivre la conversation. J’ai juste compris un truc à propos du courage. C’est positif, n’est-ce pas ? Et le reste… Elle clash tout le monde et demande encore une réaction de ma part pour confirmer que j’apprécie April. Les sentiments qui me viennent à cet instant me serrent le coeur et j’ose pas répondre. Je sais plus ce que j’en pense. Je lui souris tout de même à la fin, de plus en plus fatigué par l’utilisation de ma magie.

Il s’efface quand April répond, et je baisse la tête pour ne croiser aucun regard. Je m’en veux tellement d’avoir dévoilé cette information sur elle, elle méritait pas ça. Même si Mordred s’excuse, je ressens une profonde honte de leur avoir fait du mal à tous les deux. Une honte d’imposer ma façon de vivre de traumatisé chaotique à April et Kira. Heureusement que Phil est là. Quand il se colle à moi, je me permets de lui faire un câlin et d’enfouir ma tête contre lui. J’ai autant besoin de concentration pour ériger une barrière que pour la défaire, alors je profite de son contact rassurant pour bien respirer et la faire tomber. Qu’on puisse partir. Loin.

Je sers sa main dans la mienne et dès qu’il propose de partir, j’approuve immédiatement. Je le suis ensuite sans rien dire, en faisant attention à ne pas le ralentir en trébuchant sur les racines. Une fois dehors, on peut respirer. Personne ne nous fera du mal. J’essuie les larmes de stress qui ont commencé à couler, sursautant légèrement en voyant du rouge sur mes mains. Du sang. Je saigne du nez. C’est normal puisque j’ai utilisé ma magie, le coup de barre ne devrait pas tarder. Cela dit, Phil a utilisé plus de ressources que moi et il a sûrement besoin de plus de soutien. Sans rien dire, je passe un bras sous le sien et me colle légèrement à lui.

« Merci pour la proposition… T’es pas trop fatigué ? C’est quoi ton contrecoup ? Il faut aller à l’infirmerie ou tu as juste besoin de repos ? C’était une grande démonstration de magie, ça m’inquiète pour toi. Ils t’ont rien fait ? »

Je voulais l’inspecter pour voir s’il n’avait rien, mais le premier mouvement brusque me fait avoir des vertiges. Je reste donc à côté de lui pour le soutenir avant tout.

J’espère le soutenir suffisamment. Vivement qu’il puisse se reposer. D’ailleurs… La coloc est dans un sale état et je ne me sens pas capable d’y retourner dormir. J’hésite à lui demander si je peux rester avec lui cette nuit mais ça m’ennuierait de le déranger alors qu’il a besoin de repos.

Si, je m’inquiète pour lui. April a activé son pouvoir devant lui et pour avoir parlé à Mordred, j’ai peur qu’il lui ait dit des trucs blessants. Je suis fatigué et je saigne du nez, oui, ok, mais c’est rien. J’essuie mon nez sur ma main pour essayer de moins l’inquiéter, mais tout ce que je sens c’est que j’ai étalé le liquide sur mon visage et taché ma manche. Boulet. Je peux pas le rassurer comme ça, on dirait que c’est pire. Embarrassé, je frotte discrètement mon visage avec la manche de mon bras libre pour réparer les dégâts. Je finis par abandonner pour me concentrer seulement sur Phil pour mieux le soutenir. C’est bancal, j’ai la force d’une brindille et la fatigue d’un contrecoup sur les bras.

Chez lui, il se charge de tout et j’ose pas protester. C’est chez lui, il sait où sont les affaires et m’en occuper à sa place ne ferait que l’embêter. Cependant, quand il revient et commence à éponger mon nez, je lui prends doucement la compresse des mains.

« Je me débrouille, t’en fais pas. Pas la peine d’aller à l’infirmerie, c’est le niveau 1 du contrecoup haha. Toi tu devrais plutôt te reposer, tu tiens à peine debout… On peut manger les gâteaux ? Ça nous fera du bien. »

Je change de compresse et profite d’en avoir une propre pour frotter ma main pleine de sang. C’est tellement bien d’avoir du vrai matériel de pharmacie au lieu d’utiliser n’importe quoi à l’arrache.

« Tu peux me raconter ce qu’il s’est passé ? Ils t’ont insulté ? Désolé, j’aurais dû rentrer plus tôt, ça aurait peut-être aidé. Ou tu aurais au moins été protégé… »

Je l’écoute en mangeant des gâteaux, sans le regarder pour pouvoir me concentrer sur ses paroles. La fatigue tape de plus en plus et la meilleure façon pour tout saisir sans être dépassé, c’est de fixer mon regard sur un endroit fixe et de m’occuper en même temps. En mangeant, en l’occurrence. Ce que j’arrête de faire assez rapidement. J’ai pas faim, et savoir qu’on m’a fait du mal pour le plaisir me coupe encore plus l’appétit. Ce gars a probablement pris autant de plaisir à provoquer Phil et ça, ça soulève de la colère en moi. Je lève enfin les yeux vers lui quand son ton devient encore plus incertain. Ses yeux brillent. Je sais pas pourquoi et j’ai du mal à y voir ses émotions, mais c’est suffisant pour me serrer le cœur.

J’arriverai pas à lui dire à quel point son geste me touche. Son sens de la justice, ses actions bienveillantes, son ardeur couplée à sa gentillesse. Tout ça, c’est magnifique. Il devrait pas s’excuser d’avoir agi avec de bonnes intentions. Ne sachant pas comment organiser mes pensées pour lui répondre dans l’immédiat, je me blottis contre lui et lui fais un câlin. Je m’en veux. Parce que j’ai pas su faire face à des critiques, il s’est retrouvé dans cette sale situation. J’aimerais m’endurcir, pas lui faire porter mes faiblesses. …Mais le mieux serait qu’on puisse s’épanouir avec nos caractères, fragiles ou non, sans se faire agresser pas les autres. Après un moment silencieux, je lui réponds :

« Phil… T’excuse pas d’avoir voulu bien faire. Si l’ami de April t’a parlé comme il l’a fait avec moi, tu avais toutes les raisons du monde de mal réagir. Ça… ça me fait mal pour toi. Tu es peut-être… Hm… la plus belle personne que j’ai rencontré ici ? Si c’est gênant de dire ça, oublie ! Je sais pas comment te dire, mais ta douceur est une force énorme et c’est beau qu’elle soit intense comme ça. Je m’exprime peut-être très mal haha. »

La fatigue n’aide pas, j’ai l’impression de faire des phrases sans queue ni tête ou alors beaucoup trop personnelles et dérangeantes.

« Les gens peuvent être vraiment cruels. Ça peut détruire, mais comment dire… Au bout du compte, on est ceux qui savent vivre avec beauté. Attends non, ça veut rien dire. On peut être heureux avec les bonnes personnes. Les autres, c’est comme sortir les poubelles. C’est hyper désagréable sur le moment mais ça s’oublie vite. »

J’omets que ça laisse quand même de graves séquelles avec les années, parce qu’à Leoska on a la chance de pouvoir voir plus loin que les ordures comme Mordred.

Je souris quand il pose son menton sur ma tête. On est bien, c’est confortable et ça réchauffe. Je pourrais rester des heures dans ses bras si ça pouvait nous permettre de nous sentir mieux. Il n’a pas besoin de me remercier pour le compliment, je voulais seulement qu’il sache qu’il n’a rien fait de mal et que sa réaction était juste. Ses paroles résonnent avec ma façon d’aborder le monde. Être méchant c’est facile et gratuit. Rester optimiste demande des ressources importantes. C’est donc normal que Phil n’y arrive pas tout le temps. Moi-même, c’est pas tout le temps parfait. J’ai peur qu’il idéalise mon optimisme et se retrouve déçu quand je me retrouve au plus bas.

« Euh… Non… Comme tu dis, penser de cette façon demande de la force. Je l’ai pas tout le temps. Je… Hm… C’est plus facile d’être optimiste pour les autres que pour soi, parfois. J’ai beaucoup de choses à déconstruire, ce serait pas honnête de te laisser croire que je vois toujours les choses du bon côté alors que c’est pas forcément le cas. C’est pas possible de toute façon. »

J’ai conscience d’avoir l’air déconnecté de la réalité assez souvent, parce que j’ai trop d’espoirs pour le monde extérieur. En parallèle, j’ai la mauvaise habitude de me dévaloriser. C’est pas positif. C’est pas être fort de donner raison à ceux qui m’insultent.

« Être quelqu’un de bien c’est savoir varier ses forces, je pense. Les utiliser à bon escient. Si tes motivations sont bonnes, c’est pas céder à la méchanceté, non ? Se laisser déborder par la colère et tout casser, ça arrive. Ça fait pas de toi quelqu’un de mauvais. T’es une bonne personne, même si on se connaît pas depuis si longtemps que ça j’en suis convaincu. »

Je ris un peu en ajoutant :

« C’est marrant d’ailleurs qu’un si grand feu brûle en toi alors que tu manipules le végétal. Tu portes bien se mélange. »

J’ai hâte d’en découvrir plus sur lui, d’être proche au point où notre étreinte sera pas qu’une sensation physique. Ça me fait sourire même si j’ai un pincement au cœur à l’idée de lui parler des camps. C’est pas la chose la plus joyeuse du monde à raconter et ça impacte énormément ma vie. Tôt ou tard, il finira par comprendre. Je vais de toute façon devoir expliquer plein de choses. Mes crises d’angoisse pour un rien, pourquoi je suis complètement à l’ouest, mon absence de culture et mon retard scolaire… Je stresse à l’idée de retourner en classe d’aide parce que tout ça me ralentit trop. J’avais l’impression de progresser et le problème dans la coloc aujourd'hui a mis un stop à une partie de ça. Je ne m’y sentirai plus en sécurité.

Ses compliments sur mon pouvoir me touche, surtout que je n’ai presque rien fait et que je n’ai pas tenu très longtemps. Embarrassé par mon manque de maîtrise, je commence à triturer les manches de mon pull quand il essaie d’attraper les gâteaux sans me déranger. Ça me fait rire et je me laisse glisser vers le bas pour lui faciliter la tâche et lui il peine à pas me faire bouger. On a l’air ridicule et ça m’amuse encore plus fort. J’attends qu’il se soit servi pour remonter tant bien que mal à l’aide de mes coudes et me caler à nouveau contre lui.

« Merci. Il est assez basique, c’est juste une barrière. J’arrive à rien parce que… Euh… Une utilisation intense et prolongée avec des… Ah je confonds toujours les catalyseurs ou amplificateurs, si ça existe. Je sais plus. Mais bref, ça a tout bousillé. Je gère pas très bien. »

Voire pas du tout. Si Phil n’avait pas été en danger, il m’aurait fallu plus de temps pour l’activer et j’ai aucune idée de ce que j’aurais pu en faire.

« Sans objet magique la barrière a un périmètre de 6 mètres je crois. »

Je lui souris, content de pouvoir en parler sans trop angoisser.

« ça me panique moins de t’en parler maintenant, c’est super ! Je suis heureux d’avoir pu l’utiliser pour toi. Tu te sens mieux par rapport à tout à l’heure ? Moi un peu. »

Mon réflexe pour en témoigner est de le serrer plus fort dans mes bras pour 3 secondes à tout casser, parce que je sais pas comment dire que sa présence m’apaise.

Aïe. S’il compte sur moi pour expliquer les objets magiques, on est bien embêtés. J’ai des cours sur ça mais j’ai du mal à tout retenir tant que les exemples ne sont pas concrets ou qu’on essaie pas. Ça va me demander de réviser ce que je sais, c’est presque positif puisque je rechigne toujours à étudier. Je ris avec lui, amusé qu’on soit tous les deux peu doués avec nos magies. On fait la paire, c’est marrant. Ça veut aussi dire qu’on peut se tirer vers le haut et progresser tous les deux ! Surtout qu’on est bien encadrés à Leoska, c’est qu’une question de temps avant qu’on s’améliore.

Ça me fait plaisir qu’il rende mon étreinte. Notre câlin est confortable, je me lasse pas d’être dans ses bras. Quand il me relâche, je guide ses bras pour qu’on se remette comme on était. Parce qu’on était vraiment trop bien.

« ça te dérange pas ? »

J’ai fait ça sans réfléchir et maintenant je crains d’être envahissant. C’est con, j’aurais pu y penser avant. Il va mieux, ça me soulage de le savoir. Il est tôt mais il peut aller dormir dès maintenant, une sieste ne lui ferait pas de mal après sa démonstration de magie. Quand il reprend, je tourne la tête vers lui sans pour autant le regarder dans les yeux. Je sais que je dois m’y entraîner, mais pour l’instant j’ai pas l’énergie. Il me sauve la vie en me permettant de rester chez lui ! Je me voyais déjà dormir dehors pour éviter de rentrer et de me sentir encore plus mal.

« Oh, merci !! ça m’arrange vraiment, j’avais trop peur de rentrer ! »

C’est peut-être ridicule, mais bon… Je préfère prendre le temps d’accepter tout ce qui vient de se passer.

« Donc le canapé ou les chambres… Euh… Dis… Est-ce qu’on peut dormir ensemb- »

Non ! J’aurais jamais dû proposer ça tout de suite ! Quel abruti, il y a trop de choses à prendre en compte et tout ça risque de le déranger pour dormir. J’ai balancé ça parce que j’ai très envie qu’on dorme ensemble, et mon cerveau a arrêté la réflexion à cette simple envie.

« Excuse-moi, je voulais pas déranger. Ça risque de faire trop, je suis déjà chez toi à vider ton stock de gâteaux, je vais pas en plus t’embêter à dormir avec de la lumière et la porte ouverte. Je euh… Je dormirai sur le canapé, c’est bien, la pièce est assez grande ! »

C’est vrai. J’ai souvent l’impression de déranger et la rationaliser est très difficile. C’est toujours le problème quand on a trop de soucis, on sait pas par quoi commencer et on se sent stagner pendant des lustres. Je lui souris, rassuré de ne pas l’embêter.

« Ok. Merci. »

Je sais pas trop pourquoi, mais j’ai hâte qu’on dorme ensemble. Au-delà du fait que je n’ai pas dormi avec un autre être humain depuis des lustres, c’est encore plus spécial puisqu’il s’agit de Phil. Je me sens à l’aise avec lui et j’ai rarement honte d’être moi-même avec lui. Je me sens moins stupide. Ce n’est pas juste parce que Phil est plus empathique que mes colocs actuelles, il a quelque chose de plus. Et ce quelque chose de plus fait que son acceptation me rend plus heureux que si j’étais chez n’importe qui d’autre.

Je me dégage à regret de ses bras pour me redresser. J’ai plus faim après avoir mangé les gâteaux, mais la simple idée de cuisiner avec lui, manger devant un film, plaisanter ensemble, être encore plus proches… C’est plaisant d’avoir autant de papillons dans le ventre.

« Ce que t’as proposé c’est cool ! April et Kira préféraient manger seules et euh, même, c’est pas pareil que d’être avec toi. T’aimes quoi comme film ? On peut en regarder un récent ? »

On avait commencé à rattraper notre retard en pop culture avec Kira, mais l’ambiance était plutôt bizarre.

« Et puis, ce qui me fait plaisir c’est qu’on passe du temps ensemble. On est bien tous les deux. »

Si je galère vraiment trop à rentrer à la coloc, il y a moyen que je demande à squatter encore plus dans la sienne. A cette idée, je me dis que je risque d’être difficile à vivre pour lui et que ça peut dégrader notre relation. Avant de me laisser submerger par de mauvaises pensées, je me lève rapidement et lui tends la main. Trop rapidement. Pris d’un nouveau vertige, je m’appuie sur le dossier du canapé pour me stabiliser. Je ris de moi-même et complète avec un :

« Manger est une super bonne idée en fait. »

Sa blague me fait rire et penser à mes tentatives ratées pour regarder des films récents avec mes colocs de classe d’aide. J’étais soit complètement déconcentré, soit endormi au bout de cinq minutes. J’essaierai de ne pas faire ça avec Phil, je veux profiter de notre soirée ensemble. Je me décompose légèrement quand il me laisse le choix du film. Ça va me prendre 3h, ça va l’ennuyer et il voudra plus regarder de films avec moi. En plus, je connais aucun film récent. Je comptais sur ses propositions. Ça me fait légèrement paniquer, et la seule idée qui me vient me donne l’impression d’être déjà trop focalisé sur ce film alors que je l’ai jamais vu.

« Euh… Euh… Attends… J’en connais pas beaucoup de films récents mais… Dragons ? Je les ai pas vus, je comptais demander à Kira mais j’ai plus envie… Pourtant ils ont l’air géniaux ! Y’a des dragons ! »

C’est peut-être mes animaux préférés après les requins, même si je m’y connais moins sur le sujet. Je le rejoins dans la cuisine d’un pas léger, amusé par son côté théâtral. Il se met même au garde à vous ! Je ris en attrapant le tablier qu’il me tend. Il aurait pu garder le plus beau, car je risque de tacher celui-là. Mes yeux pétillent en entendant tout ce qu’il a dans son placard. On va pouvoir faire plein de plats ! Parce que je suis incapable de choisir, le choix du film m’a pris toute mon énergie pour en faire d’autres.

« J’ai pas de plats préférés, j’aime tout ! Sauf les olives, mais s’il y avait que ça à manger ça me dérangerait pas. On peut cuisiner un peu de tout, au pire ? Je mange pas beaucoup par contre. »

Je croise son regard vite fait et vois à quel point il brille. Ça me captive aussitôt et j’en oublie sa question. Quand je n’arrive plus à le soutenir, je regarde ailleurs et me balance d’un pied sur l’autre en essayant de me rappeler la question. Ses yeux sont beaux, je le lui ai déjà dit mais quand ils s’illuminent avec passion, ça le rend rayonnant et fascinant.

« Tu me demandais quoi ? Ah oui ! Je sais cuisiner… des pâtes, des salades et euh… Des trucs au four quand je les oublie pas. Et toi ? T’as l’air d’adorer la cuisine ! C’est depuis longtemps ? Avec ma famille on adorait cuisiner n’importe quoi ! Mes parents étaient désespérés. »

ça me fait rire d’y penser autant que ça me fait mal.

« T’as pas peur que je massacre les plats si je t’aide ? Tu as faim de quoi, d’ailleurs ? »

Qu’est-ce qu’il a de bonnes idées ! On ne gaspillera pas de nourriture comme ça. Ce qu’il ajoute me fait rougir sans que je sache pourquoi. Si je reste plus longtemps… J’adorerais. Mes journées seraient tout de suite plus lumineuses et objectivement moins angoissantes auprès de lui qu’aurpès des colocs qui m’entourent actuellement. Et puis… On serait proches tout le temps. Ça me plairait. Je joue avec les manches de mon pull, toujours à me balancer sur le côté, en réfléchissant comment lui demander si je peux rester chez lui. On en parlera tout à l’heure. Pour l’instant, je veux l’couter parler avec passion sans l’interrompre avec un truc peut-être pénible.

Je lui fais un grand sourire quand il parle de chanter, danser, en même temps que cuisiner. Ça m’attire tout de suite et je nous imagine déjà le faire ensemble ! A ce stade, je ne joue plus avec les manches de mon pull parce que je commence à légèrement agiter les mains d’excitation. J’aime bien qu’il parle de cuisiner avec amour. J’aimerais bien que ce soit ce qu’il y a entre nous. Enfin, pas « entre », mais « avec » comme il l’a dit. …Zut. Je rougis brusquement en réalisant où mes pensées mènent. Du coup, j’entends rien de la liste d’ingrédients et pour être honnête j’aurais rien retenu.

« P-prêt ? De ? Euh oui ? »

J’ai oublié tout ce que je voulais lui dire. Ah si c’est bon ! Qu’on danse et chante ensemble en même temps qu’on cuisine « avec amour ».

« On peut mettre de la musique comme tu en parlais, ça peut être marrant de danser ensemble. Euh, non, pas marrant en mode trop rigolo mais tu vois… être ensemble pour danser. J’aime bien l’idée. Et puis comme ça en même temps on cuisine avec… Euh voilà quoi. »

Je lui souris sans le regarder, les yeux fixés sur un coin de table tandis que je joue à nouveau avec mes manches. J’arrête pour me laver les mains, changeant à moitié de sujet pour ne plus être embarrassé.

« Je suivrai tes instructions ! On commence par quoi ? »

Je me rappelle tout à coup que je voulais parler d'autre chose, tout à l'heure.

« Ah euh attends ! Tu... Tu as parlé de rester plus longtemps... Je peux ? »

Il parle direct de déménagement et ça m’arrache un petit rire de joie et d’amusement. J’osais pas aller jusque là, ça me fait plaisir s’il le propose de lui-même. En plus, il a l’idée de transformer l’une des chambres en atelier. Ce serait super ! Je sais pas s’il considère qu’on dormira tout le temps ensemble ou pas. Moi, ça ne me dérangerait pas. C’est même tout le contraire. Je ris plus fort quand il lance la musique et se lance dans un chant passionné. Je connais pas mais c’est sympa ! Ça me prend un peu de temps avant que je me décoince et commence à bouger légèrement en rythme avec la musique, un sourire timide sur les lèvres. J’ai jamais dansé comme ça avec quelqu’un. Avec envie. Avec autre chose que je suis presque sûr d’identifier mais que j’ai peur de confondre. Je crois que c’est de l’amour. Un début ou plus.

« La musique est cool ! Je connais pas mais c’est sympa. J’écoutais surtout de la variété française avant, je peux découvrir autre chose ! Ça me plaît de découvrir tes goûts musicaux. Comment on danse la valse ? »

Ah ! Il m’éclabousse ! Je pousse un petit cri de surprise qui se transforme en rire, puis reprends un minimum de sérieux pour écouter ce qu’il dit. Je suis pas trop sûr de savoir quand ce sera cuit. Quand tout est marron, en gros ? Je hoche la tête et entreprend de fixer la poêle, mais j’en ai vite marre alors je me tourne vers Phil. Il est en train de danser. C’est un beau spectacle, surtout son déhanché…

Ok. J’ai aucune idée de ce qui m’arrive et de pourquoi je dérive à ce point quand je le vois. C’est perturbant, j’ai des éléments de compréhension mais ça va pas très loin et surtout, j’ai peur que mon interprétation du temps passé ensemble soit à sens unique. Essayant de chasser les mauvaises pensées, je mets discrètement de la sauce sur l’un de mes doigts avant d’approche Phil en dansant. Arrivé à son niveau, je me venge pour l’eau tout à l’heure. Je lui étale un trait de sauce sur le front en déclarant d’un ton sérieux :

« Simbaaaa. »

Je continue de danser à côté de lui en jetant des coups d’oeil à la poêle.

« Oh, dis… ça te plairait vraiment que j’emménage ici ? Et je dormirai… Dans ta chambre ? T’as pas de coloc ? »

Bien que je ne le regarde pas dans les yeux quand il parle de se mettre en coloc, mon regard pétille de bonheur. Il veut non seulement qu’on partage cet appartement mais en plus qu’on dorme ensemble !! Mon mouvement de balancier d’un pied sur l’autre devient plus rapide, et j’échoue à me retenir d’agiter les mains pour évacuer le surplus de joie qui me saisit. Puisque je suis avec Phil, j’ai moins peur d’être pris pour un débile profond parce que mes gestes sont bizarres ou incompréhensibles. J’ai jamais trouvé qu’ils l’étaient, d’ailleurs. Ça me semble normal de pouvoir exprimer ses émotions par le mouvement.

« Moi aussi !! J’ai hâte qu’on puisse dormir ensemble tous les jours. »

J’irai voir l’administration dans la semaine pour demander un changement de chambre officiel, même s’il est possible que je squatte chez Phil dès maintenant. C’est brutal comme décision, mais j’ai vraiment besoin de stabilité et de calme pour évoluer. Ce n’est pas possible dans ma coloc actuelle.

Il m’attrape par la taille sans prévenir et je lui lance un regard surpris. Sa main attrape la mienne et je la serre comme pour m’assurer que notre proximité est bien réelle. C’est facile, qu’il dit. J’ai juste à le suivre. Et à le regarder… C’est plus compliqué. Quand je me perds dans son regard, je suis tellement absorbé que j’en oublie de suivre la danse et lui marche sur les pieds. Je trébuche une fois, mais sa main est solidement placée dans mon dos pour m’éviter de tomber. Nos regards se croisent plusieurs fois et je fais un effort pour ne pas fuir le sien immédiatement. Je lui souris, profite d’être collé contre lui.

La musique est belle, elle nous fait voler et rêver éveillés. Malgré ma nature maladroite, j’arrive à m’habituer à l’enchaînement des pas. Je sais pas si c’est parce que Phil est captivant au point où je ne sens plus mes difficultés. Il me donne l’impression de pouvoir tout faire et surtout d’aimer sans limite. Quand la musique arrive à sa fin, je glisse mes bras autour de lui pour une étreinte en douceur.

« C’était magique. Les notes étaient plus justes que n’importe quel autre mot pour exprimer ce que je ressens quand on est aussi proche. Est-ce que… Hm… Tu as déjà été amoureux ? »

Ça… fait beaucoup d’un coup. Son histoire d’amour est triste mais ce n’est pas le pire. Savoir qu’il a aussi subi une dénonciation me crispe directement, et je me retrouve à agripper son haut comme si la personne dedans allait disparaître à tout moment. En plus de ça, il me fait sa déclaration. Ça me remplit de joie et je sais tellement pas l’exprimer que je colle mon visage contre son torse pour pas qu’il voit que je suis tout aussi rouge et surtout perdu.

Il m’aime pour de vrai. Comme moi je l’aime. C’était si rapide que j’arrive pas à le croire. C’est trop beau, trop pur. Je suis aux anges. Et j’arrive pas à parler parce que je suis super content. Du coup je recommence à me balancer, action qui j’espère n’est pas pénible pour Phil. J’ai du mal à le lâcher. Il me faut un certain temps pour retrouver la parole et relever la tête. Je lui souris.

« Je t’aime aussi ! J’aimerais apprendre à te connaître encore plus en t’aimant de tout mon coeur, et te soutenir, partager ton quotidien… »

Je ris en prenant conscience de l’air très sérieux de ma déclaration.

« Enfin tu vois… Comme… Des amoureux quoi… »

Mes joues sont en feu.

« Je t’aimerais mieux que l’ordure qui t’a dénoncé, en tout cas. Lui, il te méritait pas. Je suis désolé que tu aies dû vivre ça. »

C’est sûrement pire quand un être aimé est à l’origine de tous nos malheurs, je sais pas comment il a réussi à le supporter et à si bien s’en tirer. Ou alors, j’idéalise trop sa force et ne prête pas assez attention à ses fragilités. C’est pas une mauvaise chose d’en avoir, au contraire. Quand on aime quelqu’un, on doit lui permettre d’être qui il est dans tous ses états sans voir seulement le positif, la force.

« Je te l’ai pas dit je crois, mais j’aime tes nuances aussi. »

Je souris de plus bel quand il dit ne retenir que le positif, être content d’être là en ce moment-même. C’est facile de voir le négatif dans la vie quand on a vu le pire, et c’est difficile de trouver des personnes qui souhaitent rester optimistes malgré tout. Ça me rassure qu’on se soit trouvés. Qu’on s’aime. Mon sourire se fait largement plus incertain quand il commence à lister tout ce qu’il aime chez moi. Ça m’embarrasse, je savais pas qu’il pouvait aimer ça aussi. Enfin… Si, je sais, mais c’est plutôt un élément de ma personnalité que d’autres ont jugé. Et j’ai jamais réussi à le modifier malgré tout. Quant à apprendre ce qu’il ne connaît pas encore, j’ai peur que ce soit lourd. On ira petit à petit, parce que même si je veux pas m’étaler à ce sujet, il aura besoin d’explications sur certains trucs.

Avec tout ça, je rougis encore plus parce que je l’aime encore plus. Il m’embrasse sur le front et on profite d’un instant hors du temps tous les deux. Je profite que ses yeux soient fermés pour me permettre de scruter chaque détail de son visage. Il est beau tout le temps, mais c’est encore mieux de très près. J’aime ce qui se dégage de lui maintenant. Doucement, j’amène mes mains à son visage pour le caresser. Mon regard est toujours fixé sur lui. Ses cheveux, puis son front, ses cils, son nez, sa bouche.

« On… peut s’embrasser ? »

Ma voix est timide, mon ton plein d’incertitudes. Pour autant, j’ai envie de savoir ce que ça fait et de le sentir un peu plus contre moi. Je pensais pas que sa chaleur me ferait cet effet. Je sais pas quoi en faire, mais j’aime bien. Je crois.

On est sur un petit nuage de douceur et d’amour dans lequel j’aimerais me blottir pour le reste de ma vie. Ses lèvres sont douces et son étreinte me fait rêver. Je sais pas à quoi exactement mais quelque chose de plus fusionnel. Pour suspendre le temps plus longtemps et s’éloigner encore du sol. Il me fait un effet si fort. J’ai jamais connu ça et ça ne me fait pas peur du tout. Parce que j’ai confiance en Phil et son contact. Son amour me comble de bonheur et la nouveauté le rend encore plus attrayant. Le fait qu’on se dise tout ça après un moment stressant rend le tout plus intense et je dois avouer que j’adore.

J’ai l’habitude des émotions intenses négatives. Depuis que je suis ici, je me réhabitue rapidement au positif. Comme Phil, je veux retenir que le meilleur et jusque là je me croyais plus que satisfait. Être contre lui me prouve que je peux accueillir plus. J’ai envie de plus. Je le serre aussi dans mes bras et quand il se recule, une petite exclamation de surprise m’échappe. Déjà ? J’allais m’en plaindre mais il me devance en me demandant si ça va. Ça m’arrache un rire, et rire alors qu’on est collés l’un à l’autre augmente mon hilarité.

« Ou… Oui oui. Très bien ! On était vraiment bien à s’embrasser, pourquoi t’as arrêté ? »

Il n’y aucun reproche dans ma voix, je me demande juste sincèrement comment fonctionne le timing d’un bisou. Comment on fait pour ressentir plus qu’un bisou, d’ailleurs ? Je l’embrasse à nouveau avant de me séparer légèrement de lui.

« Euh dis… Y’a quoi après s’embrasser ? Je pose des questions débiles, désolé… Je… J’ai pas d’expérience là-dedans. J’ai envie de tout mais je sais pas comment on fait. »

Je ris un peu en me sentant stupide. J’ai pas eu l’occasion de rattraper mon retard en relation amoureuse à Leoska. Je sais pas si ça va vite ou non, si mes envies sont pénibles ou non. Je sais pas comment on compose à deux mais j’ai envie d’apprendre. « J’ai envie de tout » résume parfaitement ce que je ressens. J’ai envie de lui en entier. Mentalement… et physiquement.

Oulah. Il se passe des choses en moi que je peine à comprendre dans l’immédiat. S’il pouvait m’embrasser partout sur le champ et me montrer tout le plaisir qu’il décrit… je serai aux anges. Ça a l’air mille fois mieux que les contacts que j’ai pu subir pendant les camps. C’est fait avec amour, déjà, alors ça ne peut qu’être réussi. Je suis vraiment curieux d’aller plus loin et de profiter encore et encore de ses baisers. Ça a l’air plus facile à faire que la cuisine. On manipule pas le même feu et les ingrédients de la recette sont plus faciles à atteindre. Je profite de chaque baiser avec chaleur et passion, pensant qu’on s’apprête à aller plus loin pour mettre en pratique ses explications.

Finalement, c’est pas le cas. Son stop me fait redescendre sur terre et malgré ma déception, je lui dois sûrement des remerciements. J’allais me laisser emporter par mes sensations et mes envies sans prendre en compte que j’ai jamais fait ça. En plus, aller plus loin pourrait me trigger. Je pense pas que ça arrivera parce que les situations sont totalement différentes et que j’aime Phil, mais je me connais aussi trop mal pour en être certain. Je lui souris et lui fais un câlin.

« T’excuse pas. Tu fais bien de rappeler qu’on doit prendre notre temps. Merci. »

Je jette un regard vers le four pour essayer de me concentrer sur l’activité qu’on est censé faire. C’est loin d’être un domaine que je maîtrise, comme l’amour, mais j’aime la passion de Phil pour cette activité et je veux la partager avec lui pour mieux la comprendre.

« Il nous restait des choses à faire dans la cuisine ? C’est pas plus mal qu’on se concentre un peu dessus avant de passer à l’amour physique, si ça y ressemble. Et euh… J’espère que j’étais pas trop insistant pour qu’on soit… qu’on fasse… Euh, tu vois quoi. »

Pourquoi ça m’embarrasse d’en parler alors que j’ai l’impression d’être prêt à passer à l’action à tut moment ? Ça m’amuse autant que ça m’embête de voir que les mots sont plus compliqués que les gestes.

« J’ai très envie qu’on fasse l’amour ».
Je rougis bêtement de bonheur et d’embarras. Il l’a dit avec tant de facilité que ma gêne est vraiment idiote en comparaison. Je recommence à me balancer d’un pied sur l’autre en regardant ailleurs, sans savoir quoi répondre sur cette envie qui nous saisit tous les deux. Ça viendra quand ça viendra, il a raison. On a des milliers de façon de se découvrir avant d’y arriver. Je le rejoins pour admirer notre repas, des étoiles dans les yeux à l’idée de goûter ces lasagnes hyper alléchantes. Et c’est pas qu’une idée ! On va vraiment les manger ! C’est ça le plus incroyable. Parfois, j’ai du mal à réaliser que la nourriture face à moi est bien réelle et de bonne qualité. Ici, elle est en plus pleine d’amour.

J’attrape la fourchette pour goûter. Pour ne pas me brûler, je souffle dessus sans faire attention à l’intensité de mon souffle. Résultat, le morceau de lasagne s’écrase par terre au moment où Phil s’éloigne. La honte… Tout se passait bien, il y avait aucune maladresse ! Embêté, je pose la fourchette sur la table et me met direct par terre pour ramasser la bouffe. Elle a glissé sous une chaise. Quelle galère. Phil me pose une question et, histoire de ne pas lui mettre un vent, je me tourne vers lui et me prends un pied de chaise dans l’épaule.

« Aïe. Euh oui, j’adore ! Je… J’ai… fait tomber la lasagne sur la fourchette. Mais je vais nettoyer ! J’ai juste à-C’est chaud ! »

Dans ma surprise, je sursaute et cogne cette fois-ci le dossier de la chaise en voulant me relever. Ça me fait rire, faut vraiment que ce genre de maladresse me tombe dessus quand je passe la meilleure soirée de ma vie en compagnie du meilleur homme de ma vie.

« Y’a rien, j’ai la lasagne ! »

Et hop, dans ma bouche puis coup d’éponge sur le sol. Et enfin, rejoindre Phil sur le canapé. J’allais lui sauter dans les bras quand j’ai percuté que j’ai oublié la fourchette. Je fais donc aussitôt demi-tour en me prenant le coin de la table basse au passage. Quand je peux enfin me poser, je plante la fourchette dans le plat pour qu’il puisse se servir et je me blottis contre lui pour être bien calé pour le film.

« Elles sont super bonnes, t’es doué en cuisine c’est impressionnant. »

Il est certain que je deviendrai un très bon cuisinier et ça me fait rire doucement. J’en suis moins sûr, notamment parce que j’ai un mal fou à rester concentré, à suivre les étapes dans l’ordre ou juste à penser à des trucs basiques. Je me brûle souvent quand j’essaie des plats plus élaborés que des pâtes. Concernant mes autres passe-temps, je ne sais pas trop quoi répondre.

« Euh… J’aime bien sortir. Enfin, être dehors, dans la nature. Marcher. Et… Machiner des trucs mais ça revient au bricolage. Rencontrer des gens aussi, ça fait trop plaisir de voir toutes les personnes différentes qu’il y a à Leoska ! C’est beau, j’adore ça ! Après je sais jamais comment les aborder ou avoir une conversation super normale… Mais découvrir ou observer ça me plaît bien. Et toi, tu m’avais parlé de la musique et du jardinage, y’a autre chose ? »

Je grignote un peu au début du film, mais délaisse rapidement le plat pour me focaliser sur le film. J’appuie ma tête contre la sienne quand il se cale dans mon cou. On est bien. Sa chaleur me rassure et me permet de m’ancrer dans le présent pour bien voir le film. Ce n’est pas si difficile dans les faits. Si les bruits brusques me tendent de temps à autre, la musique me fait m’agiter et les dragons encore plus. Je murmure à plusieurs reprises que je les trouve superbes. L’amitié de Harold et Krokmou me touche profondément.

Je suis tellement pris par le film que je remarque à retardement que Phil m’embrasse dans le cou. J’essaie de lui rendre ses baisers mais chaque retournement de situation dans le film me fait réagir et oublier que je suis censé embrasser Phil.

« J’aimerais trooop avoir un dragon comme ça. T’as vu il est génial. C’est mignon. C’est trop le rêve d’une vie de vivre dans ce monde !! »

Attends quoi ? Il m’a posé quoi comme question ? La musique était géniale juste quand il a parlé. Je lui fais un bisou avant de répondre.

« J’ai déjà été amoureux mais c’était en primaire haha. Pareil pour les bisous. Le reste… Hm. J’ai déjà fait d’autres trucs mais pas avec amour donc c’est différent ! C’est pour ça je sais pas trop comment ça se passe. Le film te plaît aussi ?? »

TW viol et maltraitance

Ce qu’il dit me touche beaucoup et me rassure à un point qu’il n’imagine pas. Si lui aussi s’efforce au quotidien de s’intégrer socialement sans réel succès, ça veut dire qu’on peut être nous-mêmes tout naturellement quand on est ensemble ! Ça me fait plaisir, on s’est si bien trouvé ! Il parle du sport. Je lui avais demandé si on pouvait en faire ensemble la première fois qu’on s’est rencontrés. Je lui redemanderai plus tard, là je suis loin d’avoir la motivation de beaucoup bouger. Peut-être à cause de mon contrecoup.

Phil semble me laisser tranquille pour le reste du film, même s’il ne me dérangeait pas du tout avant. Mais bon, c’est probablement plus sympa pour lui car je n’arrive pas du tout à penser à autre chose que les éléments du film. J’ai sûrement l’air d’un gamin, à m’agiter ou taper dans les mains quand certaines scènes m’enchante. D’autres sont plus sombres, notamment vers la fin du film. Ça reste positif dans l’ensemble et j’adore voir que humains et dragons décident de cohabiter. C’est trop beau. Je me balance légèrement à la fin du film, trop content de l’avoir enfin vu.

« Oui trop !! C’est le meilleure film que j’ai jamais vu de ma vie !! Il y a des dragons dans la forêt pour de vrai ? T’en as vu ?? »

On est dans un lieu magique après tout, pourquoi pas y croiser des dragons. Je lui fais un câlin. Maintenant que le film est fini, mon attention est tout à lui dans la mesure du possible. Je lève la tête vers lui à sa question, avant de poser les yeux sur le générique défilant.

« Je… sais pas comment en parler. C’était quand j’étais en camp. Ou usine à mage comme tu préfères. Euh… Le personnel était… Il était… Parfois… C’est euh, violent d’être en camp. Je vais pas tout te décrire, ça sert à rien. Mais… Fallait bien que je t’en parle un jour. Je vais pas… pas toujours bien et… Si… Non. Puisqu’on va vivre ensemble… Euh… Si c’est trop lourd, je comprendrais. M-Mais sinon ça va ! C’est juste des petits trucs par-ci par-là ! Comme le euh, le tu vois… Le sexe. C’en était même pas vraiment de toute façon parfois j’étais pas hyper conscient alors ça va. »

Je m’enfonce de plus en plus dans mes explications, pour finir catastrophé par les conneries (certes vrai, mais bon) que je balance à la seconde.

« Je sais plus ce que je dis, désolé. Tu es fatigué au fait ? »

TW viol et maltraitance

Quelque chose a changé chez Phil pendant mon explication. Je ne le vois pas sur son visage puisque j’ose pas le regarder. C’est dans sa tension, l’énergie qu’il émet alors qu’on est l’un contre l’autre. J’essaie de le câliner pour l’apaiser et me calmer par la même occasion. J’ai beau en parler assez facilement, ça reste un sujet difficile qui remue le pire de mon vécu. Voir le positif est ma façon d’affronter les événements passés. Me concentrer sur le présent et sa beauté, la chance que j’ai d’être à Leoska et d’avoir rencontré de bonnes personnes. En plus, on vient de se dire qu’on s’aimait avec Phil. Ça met du baume au cœur, ça me convainc que l’horreur est occasionnelle malgré ses rappels nombreux au quotidien.

Mes larmes commencent à couler et je les écrase vite fait pour ne pas inquiéter Phil. Elles expriment autant ma douleur que mon bonheur de savoir qu’il sera présent malgré les difficultés qu’il va assurément rencontrer dans notre relation. J’avais pas conscience d’avoir aussi peur de le perdre à cause de mes problèmes personnels avant qu’il dise ça.

« Merci. Je t’aime. Je… Je t’expliquerai pour les particularités au quotidien quand il y en a. J’avais peur que ça nous empêche de bien vivre ensemble. C’est bête, t’as dit que ça te dérangeait pas pourtant. »

J’avais quel âge pour quoi ? J’organise tant bien que mal mes pensées pour lui répondre.

« 10 ans quand on m’a dénoncé, et j’y suis resté jusqu’à l’année dernière. 8 ans. Je peux pas te dire de mémoire quel âge j’avais pour tout et n’importe quoi pendant cette période. C'était... tôt et constant, tout ça. »

Je lui souris.

« Mais j’en suis sorti et ça nous permet d’être ensemble maintenant. Leoska est un super endroit pour se reconstruire, c’est chouette. Je peux t’en parler parce que j’ai confiance en toi et j’aimerais qu’on se comprenne l’un et l’autre. Ça m’embête mais ces années influencent de trop mes réactions au quotidien et… sans explication tu aurais jamais rien compris. Alors oui c’est important mais j’ai pas envie que ça me bouffe encore plus que maintenant. »

Phil est un amour. Le rencontrer relevait d’une chance immense, qu’on se mette en couple encore plus. Je l’aime si fort, il arrive à me toucher à des endroits sensibles sans jamais me faire mal. J’ai longtemps espérer obtenir du soutien dans mon entourage, en vain. Depuis Leoska, j’en reçois énormément et ça me touche, mais pas autant que la promesse de Phil. Ça a plus d’effet quand c’est dit par une personne qu’on aime du fond du coeur. Je lui rends son baiser avant de me redresser.

« Carrément ! On a besoin de récupérer après l’utilisation de nos pouvoirs, sinon on va galérer les jours suivants. »

Je ris à cette idée, sachant pertinemment que les cours seront une galère quoiqu’il en soit. Je le sers une dernière fois dans mes bras avant de le laisser me guider jusqu’à sa chambre. Bientôt la nôtre. J’ai des inquiétudes sur le partage de l’espace entre nous, mais la fatigue m’empêche d’y réfléchir sérieusement. On verra ça quand j’emménagerai.

« Désolé de demander ça, j’aurais dû prendre des affaires avant de partir mais… Je peux t’emprunter un pyjama ? »

Je me rends compte en disant ça que je n’ai pas du tout pris mes médocs ce soir. Le retard n’est pas si grave, alors je les fourre dans ma bouche pour les avaler avant d’oublier à nouveau. C’est dégueu, amer, sans eau. Être super bordélique a parfois ses avantages. J’arrête pas d’éparpiller mes cachets dans ma chambre et mes vêtements car je peux en avoir besoin en urgence. J’en perds beaucoup, mais dans un cas comme celui-là, ça me permet d’avoir mes cachets sans craindre de retourner dans la coloc.

« Et ça te dérange vraiment pas qu’on dorme avec une lumière et avec la porte ouverte ? »

L’état de sa chambre ne me choque pas, il est comme la mienne. C’est le foutoir, un chaos qui prouve que quelqu’un vit là. C’est plus agréable qu’un endroit parfaitement rangé. Ça donne l’impression que le lieu est sans âme quand c’est le cas. Son embarras me fait rire et je secoue la tête pour le rassurer.

« T’inquiète pas, c’est chouette que ta chambre vive autant que toi. »

J’attrape les vêtements qu’il me donne, pas du tout prêt à entendre un compliment sur mes yeux. Ça me fait rougir et je me sens bête. On était en train de s’embrasser il y a pas 10 minutes, pourquoi un compliment me surprendrait ? Je le remercie et me change sans attendre. Les habits sont trop grands pour moi, ça m’embarrasse. Je passe de mes vêtements amples mais ajustés à juste « trop grands ». Ma maigreur peut faire peur à voir, mes cicatrices aussi. C’est pénible, d’habitude je m’en fiche plutôt qu’autre chose mais là, j’ai pas envie d’influencer les pensées de Phil avec mon état physique minable. J’essaie de l’ignorer très fort pour me concentrer sur ce qu’il dit.

Je m’approche pour lui faire un câlin. Ce qu’il dit sur ses rêves agités me fait tiquer.

« Si je pouvais faire une barrière de protection pour chasser les mauvais rêves je le ferai sans hésiter. Mais même sans ça, à nous deux on peut chasser les cauchemars je pense ! »

Il enlève son haut et wow. Juste wow. Je me lasserai jamais de dire qu’il est super beau. Sans t-shirt c’est mieux. On va bien bien se tenir chaud cette nuit, c’est clair.

« Non non pas grave, tu peux l’enlever ! Ça me dérange pas du tout ! »

Vraiment, absolument, pas du tout. Je le câline à nouveau en l’entraînant vers le lit.

« Et puis de toute façon on va dormir ensemble tout le temps, autant qu’on s’habitue à ce qui nous arrange non ? C’est pas grave si tu bouges d’ailleurs, moi aussi. On va finir tout emmêlés. »

ça me fait rire de l’imaginer. Je m’installe dans le lit en rabattant la couverture sur moi pour m’emmitoufler dedans. Dans un éclair de réalisation, je lâche la couette pour tendre les bras vers Phil.

« Viens on se tient chaud ! »

Je savais pas comment le formuler, c’est sorti de façon trop bizarre.

Notre cocon chaleureux va nous envoyer direct au pays des rêves, à mon avis. J’adore être bien entouré par la couette et l’étreinte de Phil apporte douceur et chaleur. On se cale bien l’un contre l’autre, et c’est parti pour super bien dormir !

« Moi aussi… c’était… intense mais je suis heureux qu’on emménage ensemble. Au final, ça m’a donné le courage de faire ce qu’il faut pour être dans un meilleur endroit. »

Ouh c’est compliqué. Mes phrases sont lentes et je doute de leur sens. Ses caresses me font un bien fou, ses papouilles aussi. Je lui fais un bisou pour lui dire bonne nuit, et après ça, la fatigue m’enfonce dans un profond sommeil pour le reste de la nuit.

Le lendemain, mes repères mettent un certain temps à revenir mais c’est rien d’alarmant. Les événements de la veille me reviennent rapidement et je souris en pensant à toutes les bonnes choses qui nous sont arrivés.

« Phil, tu dors ? »

Je chuchote pour ne pas le réveiller s’il dort bel et bien. En attendant sa réponse, je me met tout contre lui.

Il est marrant au réveil, tout grognon et endormi. Je souris en déposant un bisou sur son nez.

« Oui très bien. Ça fait du bien de dormir à deux. Je mange oui. T’as du chocolat en poudre ? »

C’est la base de mes petits-déjeuners, ça fait mon bonheur chaque matin. C’est une façon super douce de commencer une journée que j’ai pas forcément envie d’affronter. Être en compagnie de Phil me donne plus facilement la motivation de me lever. Après un temps calme à le papouiller, je me laisse glisser hors du lit. Debout, je m’étire et passe une main dans mes cheveux pour ne plus les avoir devant le visage. Ensuite, j’enfile mon pull pour ne plus avoir froid. On avait tellement chaud dans le lit, ça me manque déjà…

« C’est merveilleux comme matin, j’ai hâte que ce soit comme ça tous les jours. Je m’occuperai d’aller voir l’administration tout à l’heure… »

Penser aux démarches administrative m’arrache un bâillement avant que je finisse ma phrase. Ça m’ennuie déjà. Tellement que mon cerveau repousse totalement cette mission importante pour se concentrer sur Phil et le petit-dej.

« L’administration ». Ce mot fait peur et ce qu’il cache encore plus. On me l’a présenté quand je suis passé des classes d’aide au reste de l’académie, mais c’était très dense et j’ai rien retenu. J’ai vaguement le souvenir du bureau où on était avec l’employé, c’est dire à quel point j’étais impliqué dans les explications. Mais bon, aujourd’hui je suis moins stressé, ça devrait le faire. Je crains juste de ne pas savoir comment expliquer à April et Kira que je déménage. …Je verrai ça sur le moment. Là, on est au petit-dej. Le premier en tant que couple. Ça me fait sourire tandis que je le rejoins dans la cuisine.

Il y a beaucoup de choix. Perdu, je m’assois à table en essayant en vain de choisir telle ou telle option. Je tends la main vers un paquet de gâteaux avant d’hésiter et de prendre les viennoiseries. Il y a aussi des céréales… Je pose le sachet pour prendre la boîte de céréales. Ça peut le faire si je prends un gâteau, une moitié de croissant et un peu de céréales… Mais il y a des œufs et des fruits aussi. Faut que je mange des protéines, on m’a dit. J’arrive pas à faire un choix. J’ai l’air de rien piger de ce qu’il raconte à fixer l’œuf comme un crétin, mais je sais juste pas du tout ce que je veux.

Un couteau dans la main pour couper le croissant, j’indique l’oeuf et fais tomber le paquet de céréales sur la table au passage. Heureusement, il est fermé, mais c’est déjà le bordel autour de moi alors que j’ai encore rien choisi.

« Euh… Un œuf oui… S’il te plaît. Et avec ça… »

Mon regard balaie la table et je reste paumé.

« Avec ça… »

Allez là, on va pas y passer la matinée. Je finis de couper le croissant en deux, toujours hésitant. C’est si compliqué que je verse une partie du chocolat en poudre à côté de la tasse parce que j’arrive pas à décrocher des options. Comme si elles allaient me dire elles-même ce qu’il me faut ce matin.

« Oh non. »

ça va, tout n’est pas perdu. Je peux pousser le chocolat de la table dans ma tasse… Et zut une partie est tombée par terre. La tasse retourne sur la table alors, mais pas tout à fait. Sans faire gaffe, je la pose en équilibre sur le bord et réagis juste à temps pour la redresser. Évidemment, ça gicle partout. Dépité, j’enfouis mon visage dans mes mains avant d’aller chercher l’éponge.

« Désolé, le matin c’est toujours pire et en plus le contrecoup de mon pouvoir aide pas. »

Je confirme en nettoyant mes bêtises. C’est vrai que c’est pas très grave, mais j’aimerais éviter de le dégoûter d’une vie commune dès le premier matin.

« Ben je crois ? Comme c’est des barrières et qu’on peut se cogner dedans… Les meubles c’est pareil ? »

C’est en parlant que je comprends petit à petit les problèmes de mon raisonnement. En fait, je suis pas sûr que la maladresse est un contrecoup. Cependant, si c’est pas ça… ça vient d’où ? Je me rassois à table pour siroter mon chocolat, troublé par ma constatation. C’est désespérant si ça vient de moi et pas de ma magie. Je grignote le croissant en considérant son idée. La mousse donnerait n style super chouette ! Avec un grand sourire, je réponds :

« Ah oui ! Ce sera joli en plus, merci ! »

Le croissant m’a déjà bien calé alors qu’il me reste un œuf à manger. Avec un léger soupir, je l’entame lentement. J’espère sincèrement que ma lenteur pour à peu près tout ne fera pas fuir Phil. En fait, j’ai peur qu’il pense avoir fait une erreur au bout d’un moment. April n’avait pas l’air de me trouver facile à vivre.

« Oui ! Ce qu’on peut faire, c’est que je vais voir l’administration. Ensuite, je rentre à la coloc pour prévenir April et Kira et je commence à ramasser mes affaires. Je t’enverrai un message quand j’aurais fini de leur parler si ça te va. »

Mon estomac se retourne à la perspective de cette discussion et l’oeuf devient impossible à finir. Je déglutis avec peine et essaie de faire passer ce que je viens de manger avec le chocolat chaud.

« Tu veux finir ? »

J’ai aucune idée de comment parler à April et Kira. Si je déçois Kira et qu’elle ne veut plus me parler, comment je fais ? Mon visage pâlit de seconde en seconde, et je finis par me lever pour ne pas vomir le petit-dej à cause des odeurs. Je souris quand même à Phil pour le rassurer.

« Je vais me changer et j’irai à l’administration après. Ça ira normalement. »