Depuis l’incident qu’a subi Alec, t’es une boule de tristesse et d’inquiétude. Une petite boule que tu as décidé de dissimuler à l’intérieur de toi même, cachée avec pudeur sous ton plexus solaire pour éviter de lui exposer en pleine poire. Ça n’arrangerait pas les choses si tu l’exhiber davantage, tu ne veux pas risquer de lui faire absorber ton stresse alors tu essaies de te montrer solide. Ça ne marche pas toujours.

Tu n’aurais jamais cru penser ça un jour, mais tu es soulagé qu’il ait aussi Mordred pour le soutenir. Même si tu ne le portes pas dans ton cœur, tu sais qu’il tient à Alec et tu sais qu’il a tendance à ne pas lâcher quand il est inquiet. Tu l’avais remarqué déjà avec les histoires d’addiction. Bref, pour le coup tu as bien accueilli son message, et être deux backups ça t’a paru être une belle opportunité pour tenter quelque chose de plus ambitieux qu’une sortie de survie.

Tu travailles souvent à la ferme de l’école, tu as l’habitude d’aller les aider. Alors en principe ils te tiennent au courant des fêtes qu’ils organisent ; elles sont ouvertes à tous, mais ils ne communiquent pas forcément beaucoup sur le sujet. Tant mieux, ça évite qu’il y ait tout le monde. Ça ressemble un peu à des bals Trad, mais avec des ambiances plus variées. Il y a beaucoup de musiciens présents aussi, et tu as pris ton violoncelle, au cas où. Tu sais pas trop ce que tu espères. Si, tu le sais. Tu veux qu'il réagisse. Ça te terrifie de le voir aussi apathique. Vide. À déambuler d’un air absent, à faire le strict minimum pour survivre. Il pétillait tellement quand il dansait, quand il écoutait de la musique… Tu donnerais tout pour le voir à nouveau briller comme ça. Et tu te dis que peut être… peut-être que ça lui fera plaisir de retrouver cette ambiance. Juste un peu.

Alec t’avait affirmé être disponible, mais tu préfères t'assurer qu’il est toujours partant. Ou a minima d'accord. Avant, tu finis tes traits de liner, seul maquillage pour ce soir. Juste de quoi rendre un peu plus queer ton ensemble cottage core classique ; bottine de cuir, pantalon plutôt taille haute marron clair maintenu par des bretelles à une chemise blanc cassée.


Lorsque tu vas le trouver, Alec est dans un coin de la chambre, assis en boule sur une chaise à regarder par la fenêtre.

« Alec, chou, c’est toujours ok pour ce soir ? Y’aura pas mal de monde. »
Il tourne brièvement la tête vers toi.

« Oui. Si ça vous fait plaisir. »

Hmm. Tu affiches une petite moue. C’est constamment comme ça, depuis un moment, et pourtant tu ne t’y habitues pas. Il n’a goût à rien, et tu as l’impression de forcé chaque fois que tu proposes quelque chose. Mais ce serait pire si tu ne le poussais jamais à aucune activité et que tu le laissais aussi amorphe qu’il semble le souhaiter, non ?

« Hmm. Bien sûr que ça nous ferait plaisir de t’avoir avec nous, mais si tu n’as vraiment pas envie on peut aussi annuler, tu sais. »

Il soupire avant de se lever et de commencer à enlever son pull. Il est assez maigre. Pas encore autant que toi, mais sa perte de poids, crève les yeux et ça te fait physiquement mal de le réaliser. Tu cuisines beaucoup pour qu’il puisse piocher, tu essaies de faire des trucs qui lui feraient envie. Tu constates à quel point c’est insuffisant. Tu te forces à détourner le regard pour éviter de le mettre mal à l’aise.

« Non non c’est bon. Je dois juste me changer.
— D’accord, je t’attends dans le salon, Mordred devrait pas tarder à arriver. »

Tu t’éclipses pour lui laisser de l’espace. Ça te laisse le temps de boire un peu de thé. Tu en as préparer suffisamment pour avoir de quoi accueillir convenablement Mordred, tu as bien noté qu’il en buvait.

Il finit justement par arriver.

« Salut. Alec se prépare encore. Il y a du thé encore chaud si tu veux, en attendant. »

Tu espères que tu n’es pas grillé sur le fait que tu as fait du thé pour lui. Tu ne veux pas paraître non plus trop amical et prévenant envers lui. Juste poli. Voilà, tu as pensé à avoir de quoi vous occuper les mains en patientant si jamais vous ne souhaitez pas parler, rien de plus.
Mordred s’approche et te sourit.

« Je veux bien une tasse, merci. »

Tu détailles son sourire, son visage. Tu n’arrives pas à savoir s’il est sincère ou il se fout de ta gueule quand il te sourit, et ça confuse ta lecture. Soit, contente-toi de servir le thé sur la table du salon pour l’instant, ce sera plus simple. Vous avez plus important à traiter, notamment le fait que plus les secondes passent, plus votre plan de sortie te paraît très ambitieux.

« Comme tu t’en doutes il n’était pas forcément très emballé » Il ne l’est par rien « On fera juste un tour avec les chiens si ça fait trop de monde, trop de bruit…

— Oui, il faut vraiment qu’on ne le pousse pas trop. Est-ce qu’il arrive à verbaliser ce dont il a besoin ou non, quand vous êtes ensemble ? »


Il te fixe. Ça te rend nerveux, te pousse à le passer au scanner pour déchiffrer ses expressions et ça ne fait que t’égarer davantage. Est-ce qu’il te regarde autant parce qu’il attend une réaction précise de ta part ? Parce que tes propos lui paraissent bateau ? Est-ce qu’il est juste comme ça ? Tu plisses les yeux dans un instant d’incompréhension, et te reprends en secouant négativement la tête.

« Non, pas vraiment. Il répond juste à l’essentiel, mais, enfin… Ouais, il n’est pas particulièrement plus loquace… là-dessus. Ni sur les restes. »

Il hoche la tête toujours sans te lâcher des yeux, ça ne t’aide pas à arrêter de trop penser.  

« Pareil quand je le vois… espérons que ce soir lui change les idées. »

Tu hoches la tête en silence. Là-dessus au moins, vous vous comprenez et vous vous rejoignez. Vous êtes deux à pouvoir veiller sur lui et tu es rassuré de voir que vous êtes capable de coopérer décemment pour quelque chose d’aussi important. C’est juste… Dommage que tu n’arrives vraiment pas à le comprendre de façon plus générale.

« J’ai quelque chose sur le visage ? »

Il te fixe plus intensément. Peut-être pour vérifier. T’en sais rien.

« Non. Pourquoi cette crainte ?»

Parce que t'aurais rouler ta tête dans ton saucisse-lentille ???

«— … Parce que, tu me fixes beaucoup. Donc j’ai cru. »

Tu es bon observateur en principe grâce à ton empathie, et, mine de rien, ton anxiété qui te pousse à tout sur analyser pour anticiper les situations. Mais lui, tu le comprends si peu que tu peines vraiment à le lire, tu as l’impression de saisir tous ses signaux de travers. Mais là, tu crois pouvoir affirmer qu’il est légèrement agacé lorsqu’il regarde soudainement ailleurs.

« Je te regarde parce qu’on parle, c’est normal. »

Tu soupires. Ton intention était de comprendre si tu avais merdé, et à la place tu l’emmerdes. Vous pataugez complètement. Vous avez décidé de tenter l’aviron ensemble, mais vous êtes deux, et il y a huit rames.

«  Je voulais juste vérifier pourquoi, c’est tout, ça m’a pas dérangé. »

Il te fixe à nouveau et tu évites de réagir pour te donner raison.


« Si tu te demandes pourquoi c’est qu’il y a un souci quelque part. »

Ou s'il cristallise là dessus c'est peut-être que lui aussi pense qu'il y a un problème. Comme s'il pouvait y'en avoir entre vous. Ah-ha.

— Ben ça aurait pu être parce que j’avais un truc sur le visage justement. »

On y revient, t’es vraiment pas un As du mensonge ; pour qu’on y croie, il faut que l’excuse se tienne. Tu n’aurais pas l’air d’essayer de t’extirper des sables mouvants de cette conversation si tu avais juste cru avoir de la salade sur la joue. Bon. T’entres probablement dans l’excès de communication avec lui, mais tu préfères tout déballer pour éviter le non-dit foireux qui vous déséquilibrerait alors que vous marchez sur le fil.

« Je savais juste pas si t’avais souri parce qu’il y avait du thé, parce que c’était un sourire faux, ou un sourire de politesse, ça a perturbé ma compréhension de la suite et je me suis pris la tête tout seul parce que je comprenais pas ton… » Tu le désignes. T’as perdu le mot « ... mindset ? C’est tout. Y’avais pas particulièrement de soucis. »

Là encore il a l’air irrité.

« C’était un sourire de politesse et de plaisir parce qu’il y a du thé, c’est tout. Je ne vois pas ce que je peux faire pour que tu comprennes mon “mindset”, d’autant qu’on doit se concentrer sur Alec. »

Tu soupires, avec un peu plus d’agacement. C’est justement pour ça que tu préfères savoir. Pour ne pas laisser planer de doute sur un potentiel problème supplémentaire alors que vous allez tous les deux devoir dédier votre disponibilité mentale a beaucoup plus important. Ça vous évitera d’être parasité par des pensées qui n’ont pas lieu d’être. Enfin, surtout toi visiblement.

« Soit rassurer ça ne m’aurait pas empêché de me concentrer sur Alec, je ne perds pas mes priorités de vue aussi facilement. C’est juste plus confortable si je ne me pose pas d’autres questions à côté. » Tu te laisses tomber en arrière sur le canapé, ta tasse contre ton diaphragme. « Donc merci pour cet éclaircissement, c’est suffisant. » Tu regardes le mur pour ne pas avoir à renouveler de contact visuel tant qu’ils ne sont pas nécessaires « Pour le reste, on peut s’épargner le fait de parler en attendant. »

Tu estimes que ça vous fera le plus grand bien d’arrêter de ramer pour ne pas fatiguer vos petits bras de fragile trop vite. Alec ne devrait pas tarder de toute façon.