Sortir, un truc que je n’aurais pas pris le temps de faire sans le chien qui me court dans les pattes. Je ne dis pas que je n’aime pas les balades en nature, mais que j’aille marcher dans la pelouse de l’école ou dans la forêt, à part l’absence de bruit de mes congénères, aucune différence. Quelques oiseaux qui chantent aussi. Surtout la respiration haletante d’Hamtaro qui court. Oui je l’ai appelé Hamtaro, que voulez-vous j’ai un certain sens de l’humour.

J’ai décidé de faire honneur à mon handicap en sortant juste avec un chien pour me guider, histoire de voir comment je me débrouille en ayant pas mon vieux bâton pour m’aider. Je constate que le hamster qui me sert de chien est plutôt efficace dans son taff, se foutant dans mes jambes pour m’éviter un arbre ou deux. J’arrive globalement à suivre le sentier.

Je l’entends s’éloigner pour une raison que j’ignore, je ne tente donc pas le diable et ralentis. Un peu. Oui, bon, c’est pas parce que je ne vois rien que je ne peux pas avancer, j’ai deux jambes et deux bras. Des bras qui sont à moitié tendu devant moi, au cas où. Je n’entends pas d’autre bruits que nous deux, personne ne devrait me voir. Et puis au pire, que quelqu’un essaie de se foutre de moi pour voir.
Je prête attention aux bruits qui m’entourent et j’entends qu’Hamtaro n’est plus seul, il y a un autre truc qui court avec lui. Pas un humain. Quoique, ça pourrait, mais ça serait bizarre qu’il ne me dise pas bonjour avant. Un animal sauvage ? Super sympa pour un animal sanguinaire. Peut-être un chien perdu. Je m’approche du son et heurte quelque chose. Non. Quelqu’un, ou alors les arbres d’ici ont bien changé. Je pousse un juron sonore.

« Pardon, c’est sorti tout seul. La surprise. C’est un moyen de faire connaissance de rentrer dans les gens ? Non pas que ce soit la mienne, j’y vois juste que dalle. »

Ouai, j’attends rarement avant d’énoncer l’évidence. Plus rapide, ça évite les inconforts et les questions cons. Je n’accuse pas forcément mon interlocuteur, simplement si de nous deux quelqu’un est à blâmer, déso mon chou mais c’est pour toi. Je tends une main hasardeuse dans l’air.

« Aelya, ptite nouvelle dans l’école, enchantée inconnu de la forêt qui ressemble à ce que mon esprit veut bien imaginer. »

Pour le moment pas grand-chose. J’attends qu’il ou elle ou whatever prenne la parole, ça me donnera peut-être quelques indices. Ou alors je lui fous une main sur la tronche sans lui demander son avis pour voir. C’est amusant mais bon, pas hyper pratique socialement parlant.

Serrage de main ferme. Je ne sais pas si c’est qu’il cherche à s’imposer d’une quelconque façon, ou alors de se donner contenance, de m’impressionner, difficile à cerner tant que je n’ai pas encore pu cerner le personnage. Deux secondes, c’est précis. Quelqu’un de soigneux, soucieux de bien présenter. Ou alors peur du contact, là encore le doute est permis. En tout cas ses tournures de phrases indiquent une certaine précision, bon le gars à l’air d’être soigné. Alexis. Il lisait.

Je ne juge pas sur les apparences, je ne peux pas. Par contre un gars qui me fonce dedans parce que perdu dans un bouquin, déso mon pote mais je juge un peu.

« Tu peux pas genre, t’asseoir ? »

Ah merde c’est sorti à voix haute.

« Pour lire je veux dire. Pas pratique en marchant si ? Enfin après tu fais bien comme tu veux. Il est où ce clebs. Hamtaro, reviens par là ! »

Tu parles d’un chien d’aveugle. Il a encore des gros progrès à faire celui-là. Il revient se mettre contre mes jambes et je profite pour le gronder d’une caresse affecteuse. Oui, c’est bon, je suis faible d’accord. En plus je suis sûre qu’il a une adorable tête de débile. Tu souris quand il parle de sa chienne comme un autre être humain. C’est toujours bon signe quand les gens aiment les bêtes.

« Sûrement, après le mien n’est pas difficile à emmener dans des conneries. Je ne t’ai pas demandé ton ou tes pronoms Alexis, j’en suis désolé. Moi c’est elle, comme ça c’est fait. Je suis arrivée il y a une semaine par là, je crois. J’attendais de connaitre un peu mon environnement pour sortir. »

Je sens Hamtaro me donner un coup de museau et appuyer un bâton contre ma main. Nan mais jvous le dit, il n’a pas compris son taff celui-là. Je lui lance le jouet tant désirer et commence à aller dans sa direction.

« Tu m’accompagnes un peu ou tu préfères partir de ton côté ? Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer des gens ici et t’as l’air cool donc je ne dirais pas non à ta compagnie. Tu ressembles à quoi au fait ? Et t’as le droit de me mentir de toute façon tout le monde le fait. C’est rare que je vienne vérifier. »

Je ponctue ma phrase par un petit rire. C’est vrai, je suis sûre que plein de gens en ont profité pour changer un peu leur image, mais si ça leur fait plaisir après tout. Ça me permet au moins de préciser les silhouettes floues qui se dessinent dans ma tête.

Je reste pas trop éloignée de mon nouveau compagnon de route, histoire de ne pas me perdre ou de ne rien me prendre. Je suis donc le son de sa voix sans trop de mal pendant qu’il se décrit. Blond aux yeux verts. Des yeux verts c’est déjà exceptionnel, mais je me mords la lèvre pour ne pas rire. Après tout, c’est peut-être vrai et je ne voudrais pas être vexante.

« Je suis désolée pour le livre, tu as raison c’est pas une si mauvaise idée. »

Je souris alors qu’il me décrit la scène. J’avais deviné au bruit que les deux chiens étaient partis en courant mais sa description m’apporte un peu plus de détails croustillants.

« Merci pour l’audio-description, tout le monde ne se donne pas cette peine. Je parie sur ta chienne pour la victoire, le mien est capable d’aller chopper le mauvais bâton. »

J’entends d’autres pas arriver à notre rencontre, un petit groupe. Il ne les salut pas, j’en fais donc de même. Je me raidis quand j’entends le nom de Mordred, puis les quelques mots à mes propos. Sympa, le gars me ment sur son nom quoi, ça va loin. Après, au vu des rumeurs que tu as entendu sur lui, je me doute qu’il ne l’a pas fait pour rien. Après tout, n’importe quelle autre personne aurait pu le juger, lui en vouloir, j’en sais rien. Moi je m’en fou. Par contre, le groupe lui me gêne. Je m’adresse donc directement à eux, ne faisant pas attention à Mordred qui vient de rappeler sa chienne.

« Dites vous voulez pas aller voir ailleurs si on y est ? La nouvelle elle a un prénom, elle s’appelle Aelya et mes fréquentations me regardent donc avant de dire la pauvre aller donc vous occuper de votre cul. Une bonne journée. »

Je me retourne en direction de Mordred, ou du moins là où je le pense être. Je fais un pas dans sa direction et je sens mon chien qui vient s’appuyer doucement contre ma jambe pour me guider. Je lui fais un grand sourire, main sur la hanche.

« Bah alors Mordred, on fuit ? C’est bon, les écoute pas, j’men fou des gens comme eux. Ils ne savent rien et parlent pour rien dire. Toi t’es intéressant par contre, donc tu me laisses si tu veux mais moi j’ai très envie de continuer ma balade avec toi. »

Je repars sans attendre sa réponse, je vais assez lentement pour qu’il m’emboîte le pas de toute façon.

« Tu n’as menti que sur ton nom ou t’es pas le beau blond aux yeux verts que je me suis imaginé ? »

Je ris un peu à la fin de ma phrase. A vrai dire, la situation m’amuse plus qu’autre chose. Et puis s’il ne m’a pas suivi, je parle toute seule, c’est pas si grave je passerai pour la vieille folle aveugle des bois. A deux doigts de vendre mes services de voyante.

Je souris plus largement quand j’entends les pas de Mordred à mes côtés et le son de sa voix. Bien, le gars ne m’a pas lâché, bon point pour lui. Parce que franchement, qui laisserait tomber une aveugle dans la forêt ? Que des gens mauvais, ça c’est sûr. Brun aux yeux bleus donc. Ça serait étonnant qu’il me mente deux fois de suite, je pars du principe que cette version là est la bonne.

« Longs bouclés ? Et t’inquiètes, il faut mieux être fin et avoir une bonne dose d’intelligence que d’être monsieur muscle mais être aussi con qu’un balai. Franchement, si le monde ne tournait qu’autour des gens musclés je n’aurais pas envie de voir ce que ça pourrait donner. Donc ne dis pas malheureusement, il n’y a rien de malheureux là-dedans. Regarde-moi, fine comme une brindille et fière de l’être. »

C’est vrai, après tout pourquoi commencer à se plaindre de choses qu’on ne peut pas avoir. Même si je faisais du sport je n’aurais jamais une superbe musculature ou je ne sais quoi, je serais juste plus sèche. Je réfrène un « dans ton cul » comme réponse pour ma répartie. Ça serait dommage de lui faire regretter son compliment instantanément.

« Merci. Je t’aurais bien dit dans un paquet sur le bord de la route en venant ici mais malheureusement c’est de naissance, impossible de m’en détacher, ça me colle à la peau. Donc bon, j’ai appris à vivre avec, à remettre les gens à leur place autrement qu’avec les poings. Les mots sont une arme puissante. »

Je finis ma phrase sur un haussement d’épaules. Je le pense vraiment, mon corps ne pouvant être un outil, j’ai choisi d’aiguiser mes mots, d’apprendre à jouer avec. C’est un moyen de défense efficace, disons qu’il inspire le respect et m’évite de me faire marcher sur les pieds.

« Parce que tu penses que j’avais une raison de bluffer. Je mens très rarement, Mordred. Seulement quand c’est nécessaire, surtout pour mon bien-être. Pour les autres, je t’avoue que je préfère dire le fond de ma pensée plutôt que de leur jeter des fleurs. La chute est trop rude et puis ça n’a aucun intérêt. »

Je fais un geste de la main, signifiant à quelques nuances près que les autres peuvent bien aller se faire voir ailleurs.

« Que les gens parlent, rien de nouveau sous le ciel bleu. Une aveugle magique, crois-moi que ça soulève des foules. J’entends les gens parler, je leur réponds et je m’en tape parce que j’ai pas à me farcir leurs tronches s’ils sont vexé. Par contre je ne sais pas si tes potes, ou compagnons, seraient ravis de l’image que tu fais d’eux. Puis de toi aussi d’ailleurs. Vous êtes éclatés à ce point ? Parce que j’ai entendu des rumeurs, mais si les informations peuvent venir du concerné c’est encore mieux. Surtout sur ta magie, je t’avoue j’ai pas tout compris. »

Je prononce ma dernière phrase avec un ton léger et un petit sourire. Je ne veux pas donner un tour pesant à la conversation, simplement m’intéresser à lui. Je n’ai aucune idée derrière, simplement apprendre à faire connaissance avec quelqu’un, ce qui, jusqu’ici, n’est pas un crime.

Un mot peu tout faire, plusieurs ça devient une arme de destruction massive. Je suis ravie qu’il soit de cette partie de la population qui prend conscience du poids des mots, c’est toujours super agréable. Mes mots sont précieux, je choisis précieusement à qui je les adresse et Mordred à l’air d’être de ceux pour qui je suis ravie de les dépenser.

Je grimaces un peu à l’idée du mensonge. J’avoue que la sincérité est quelques chose avec laquelle j’ai grandi, je préfère être blessante que de cacher mes sentiments. Je préfère envoyer balader les cons comme tout à l’heure que leur faire des beaux sourires niais de façade. On ne gagne rien à mentir, sauf des emmerdes.

« Je ne pense pas faire partie de tes proches mais j’apprécierais que tu sois franc avec moi à l’avenir. Je n’aime pas les mensonges, que ce soit ceux qui visent à me préserver comme ceux qui se foutent de ma gueule. Ça finit toujours par ressortir et ça n’apporte que des conflits. Sauf erreur de ma part, personne n’aime s’engueuler. »

Surtout avec des proches. Il n’y a que de la douleur qui en sort. J’ai un petit sourire mélancolique quand je reprends.

« Quand au fait que je suis éclatée, comme tu le dis si joliment, on est tous un peu fêlés. On a vécu, on a des vies complexes peu importe qui se trouve dans cette école. Juste certains le sont plus que d’autres, et certains le montrent plus que d’autre. Et non, je n’ai pas idée, mais tu veux éclairer ma lanterne ? »

Je suis curieuse, plus j’en sais sur les gens moins ils pourront me mentir quand je me retrouverais face à eux. Et puis c’est fun les potins.

« Ouah donc c’était vrai. Purée mec t’as déconné quand-même, tu ne demandes même pas le consentement à tes bêtes de labo. Les hallu ça craint déjà un max mais franchement fouiller dans les souvenirs… C’est pas ouf. »

Je m’arrête pour me tourner vers lui et manque de tomber dans le mouvement brusque, je me rattrape de justesse. Stabilisation. Ok. Je pointe le doigt dans sa direction.

« Et ne t’avise pas de visiter les miennes, attention. Non pas que ce qui s’y trouve soit fabuleux, c’est mon espace intime et j’en parlerai quand j’en aurais envie. »

Je me remets à marcher, la fatigue commence à légèrement me faire trébucher.

« Ma magie hum… globalement tu vois les trèfles à quatre feuilles ? Bah c’est moi sauf que je marche, parle et pense. J’influe sur la chance des gens. »

La dernière en date, celle de mon frère et des mes mères. Je n’ai jamais osé depuis, je préfère faire les choses avec parcimonie. Le contrecoup peut être trop grave. J’ai de nouveau un air un peu mélancolique sur le visage mais je ne m’en cache pas.

Les soupirs de plus en plus agacés de Mordred m’indiquent que je commence à toucher un point sensible. La question reste à savoir si j’en ai quelque chose à faire, mais je réponds assez vite à la question : pas vraiment. Je l’aime bien hein mais on ne se connait pas assez pour que je commence à prendre des pincettes. Choisi. Donc calculateur. Je comprends pourquoi les gens s’en méfient, ce n’est pas le genre de profil qui attire. Je pourrais presque parier sur un air hautain qui accompagne le tout.

Je fais un vif mouvement de recul quand il m’attrape la main, surprise. Je déteste les contacts non voulus, surtout quand je ne vais pas les chercher. Je te tends la main pour que tu la serres, ok, par contre tu me prends pas de cours comme ça. Sa voix froide me braque et je commence à me tendre alors qu’il ne me lâche pas. Je n’aime ni son ton, ni ses mots qui sonneraient presque comme des menaces. Je recule de deux pas quand il me lâche enfin et je sens Hamtaro venir se réfugier contre moi.

« Ma gueule je l’ouvre comme je veux et quand je veux. Crois-moi que si t’espère que je la ferme t’es tombé sur la mauvaise personne. Et scuse de ne pas être dans ta peau bonhomme, de ne pas savoir ce que les gens te disent, mais je ne vais pas te mentir pour être sympa. Maintenant je t’ai pas dit que t’étais une merde vu que je ne le pense pas, t’as juste fais des conneries comme plein d’autres. Je constatais simplement. »

Je me redresse un peu, le visage fermé.

« Par contre tu ne me touches plus comme ça. Je ne cherchais pas de contact, tu ne m’as pas prévenu, et ça à tendance à très vite me mettre hors de moi. Ne considère pas que tout le monde est tactile, encore moins pour une aveugle dont le toucher est devenu un des sens principaux. Donc soit tu demandes, soit tu préviens, soit ça tourne mal. »

Je repars doucement dans la direction que m’indique mon chien, me laissant guider.

« Oui il est sympa. Utile, surtout pour les autres. Mais je ne l’utilise pas trop. Tu me présenteras tes potes ? »

Je grogne intérieurement à sa réponse. C’est pas la façon la plus naturelle d’exprimer les choses mais il a moins le mérite de te dire que ta réaction l’a blessé. Je ne pensais pas que pointer quelqu’un du doigt étant un déshonneur, même si c’est assez malpoli. Mais soit, il arrive à articuler en excuse entre ses dents, ce n’est pas si mal. Je ne m’attendais pas à autant venant de lui, surtout à sa réaction précédente. Je ne vais pas m’amuser à lui demander si ses excuses sont un énième mensonge, ça ne sert à rien de remettre de l’huile sur le feu aussi tôt.

« Je m’excuse aussi, j’ai été brusque. J’aurais pu te formuler ça autrement, mais jprends rarement des pincettes. Pas trop mon truc. »

Eizh… Je note mentalement le nom. Je suis contente de savoir que le courant passerait bien avec ses proches, ça pourrait peut-être me permettre de me faire des amis plus rapidement. L’école est grande, les élèves nombreux. J’ai déjà pu parler avec certains mais rien de bien intéressant. A vrai dire, ce sont les cas un peu plus hors normes qui m’attirent, ceux qui ont un peu de profondeur.

« Je ne distribue pas ma chance aussi facilement que des farfadets. Le contrecoup est assez aléatoire et ingérable, la dernière fois que je l’ai utilisé je l’ai amèrement regretté. Je le regrette encore. Je préfère ne pas prendre tout ça à la légère. »

Je marque une légère pause pour trouver le meilleur moyen d’expliquer mon point de vue.

« Mon pouvoir c’est un peu comme une balance, si je te donne de la chance il faut que quelqu’un trouve de la malchance à côté. Je ne suis pas mécontente quand ça me retombe dessus, mais je n’aime pas l’idée que ça puisse retomber sur quelqu’un qui n’a rien demandé. »

Je soupire avant de faire un petit sourire en coin.

« Enfin, vous me paraissez bien plus intéressants, vous les bras cassés. Je me compte dedans. Disons que s’ils sont tous aussi intenses que toi, on va s’amuser. »

Je pince légèrement les lèvres à sa question. Non, ses questions. Les premières font remonter un peu de mélancolie que j’ai réussi à enterrer depuis peu et les autres me donnent l’impression de subir un interrogatoire. C’est sympa de s’intéresser autant mais j’ai juste l’impression qu’il est en train de m’examiner comme un cobaye. Après je ne peux pas lui reprocher d’être curieux.

Je note que Mordred exprime assez clairement le fait qu’il ne côtoie pas tellement les autres, il a donc un entourage restreint. Je ne m’arrête pas là-dessus, c’est juste une information, rien de si important. Je souris de nouveau quand je repense à mes ami.e.s de dehors, d’avant. Une belle bande de bras cassés eux aussi, disons que les gens sans personnalité forte ne sont pas du genre à attirer mon attention. Ils sont tous pareil.

« Parce que c’est comme ça que j’ai perdu ma famille. Disons que la malchance est à la hauteur de la chance, ils ont eu la chance de pouvoir s’enfuir tous les trois, j’ai malheureusement eu la malchance d’être séparée d’eux et de ne pas avoir pu les retrouver. Le pouvoir de mon frère avait été découvert, je n’avais pas le choix. Par contre, si j’utilise mon pouvoir pour influencer la chance que je vais avoir de ne pas tomber, je ne pense pas que la malchance soit si grande. Quant aux limites… »

Je hausse les épaules. A vrai dire, je ne me suis jamais posé la question et je n’ai jamais eu l’occasion d’essayer. Je ne veux pas distribuer mon pouvoir comme un vulgaire lutin porte-bonheur, j’estime que la chance utilisé pour la fuite de ma famille était déjà grande. Est-ce que je peux aller au-delà ? Vague question.

« Je dis pas que j’en ai rien à faire, juste jamais eu l’occasion d’essayer. Et je ne sais pas pour ta dernière question, ça dépend, c’est super vague. Pourquoi les questions ? Tu veux faire un dossier sur moi et le remplir pendant que j’expérimente ? »

Je dis ça avec un grand sourire. Même si c’est le cas et que ça le rendrait encore un peu plus bizarre, ça ne sera pas non plus un red flag.

« Je ne peux pas te dire. Simplement, dans cette école personne n’est vraiment normal. Juste certains ont des personnalités plus fortes, plus intéressantes. Mes ami.e.s d’avant c’étaient… des ptits cons. Affectueusement. Mais globalement ils volaient pas mal de trucs, passaient leur temps à faire des conneries, rien de trop dangereux mais quand-même. Je ne pouvais pas y participer, ils ne voulaient pas. Ils étaient assez protecteurs, c’est assez drôle on dirait un gang quand on y pense. »

Un gang rempli de loyauté et de fidélité, c’est tout ce qui comptait. Je leur vouais une confiance aveugle, ahahahah trop drôle, mais sans rire ils étaient incroyables. Et ils me manquent beaucoup.

Il est définitivement bizarre. Genre vraiment. J’ai l’impression que je suis en train de passer un entretien d’embauche pas prévu, ou alors qu’on m’a mit un médecin bizarre aux basques pour pouvoir m’étudier.

« Tu portes une blouse ? »

Question légitime. Après tout, que je sache si c’est un savant fou un peu bizarre duquel je devrais m’éloigner assez rapidement. Evidemment que l’expérimentation est tentante, mais le contrecoup trop compliqué. J’ai une grande gueule, ça ne veut pas dire que je veux mettre les autres en danger.

« On dirait vraiment un vieux savant chelou qui est à la recherche du spécimen rare. Expérimenter serait compliqué, imagine ça retombe sur des élèves, sur des gens innocents ? C’est compliqué, j’ai encore une conscience. Mais dis-moi Mordred, si je l’utilisais sur toi, à propos de quoi tu aimerais avoir de la chance ? »

A moi de poser des questions un peu intimes. Il n’y a pas de raison que je sois la seule à être passée au scanner, c’est à ton tour mon gars. Je commence soft, j’ai des milliers d’autres questions, sur son pouvoir aussi, mais ça à l’air d’être un sujet sensible et je n’ai pas encore décidé de l’approche.

J’entends la réponse de Mordred au moment où je trébuche de nouveau sur une racine. La forêt c’est vraiment de la MERDE, y’a trop… d’arbres. De trucs. C’est chiant.

« Bordel. Merde. Pardon. Bref, heu… oui et ben super, je prends l’information. C’est bon signe, ça veut dire qu’on va bien s’entendre. En plus si vous voulez je peux repartir avec le butin, personne ne soupçonne une aveugle. »

Je fais un grand sourire assuré en relevant le menton. Je n’ai pas besoin de garde du corps, même avec mon handicap je mets un point d’honneur à être autonome, à savoir me défendre. Faire comme je peux quoi. Au mieux.

« Pas de soucis, je n’ai pas besoin de garde du corps. Faites attention, j’ai juste tendance à rendre les cours. Mais c’est gentil d’avoir quand-même étudié l’idée. »

Je n’ai aucune envie d’être une petit fleur fragile.

Je suis un peu déçue de sa réponse. C’est cool d’avoir des meilleures notes mais franchement si on pouvait m’offrir une chance sur quelque chose dans la vie, ce n’est pas ce qui me viendrait en tête en premier. Après c’est peut-être la vérité, qui suis-je pour juger ? Ou juste trop personnel, je ne sais pas.

« Ton isolement ? Pourquoi ? »

Je pose la question sur un ton léger, réellement intrigué. J’avoue que j’ai très vite mis les rumeurs de côté, je préfère le connaitre par lui plutôt que par les mots des autres. Je suis content qu’il n’ait pas réagit à ma presque chute, ça m’aurait fait chier qu’il le notifie.

Je reste silencieuse quelques instants en réfléchissant. A vrai dire, s’intégrer n’est absolument pas une bonne excuse pour s’intégrer dans un groupe en temps normal. Pour les gens normaux. Sauf que je suis tout sauf normale, et puis s’il le faut je peux toujours influencer un peu le cours des évènements. Et puis le pouvoir de Mordred serait un plus… Un sourire malicieux nait sur ton visage.

« N’en profites pas non plus pour t’acharner sur moi. Ton pouvoir pourrait nous être très utile et puis tu sais, moi je ne suis pas censée savoir que tu dois te calmer. Après tout, c’est toi et ta conscience loulou, je pourrais toujours trouver d’autres partenaires. Je ne suis pas là pour t’aider, juste… te faire vivre ? »

Oui bon j’ai pas toujours une bonne morale. Je me contente de m’en soucier quand on parle de mon pouvoir, pour le reste j’en ai rien à faire. Ce n’est pas comme si on allait braquer une banque, c’est juste un moyen de contourner un peu le système.

« Si jamais tu es partant, je te propose qu’on sorte de cette forêt maudite par les ténèbres, si tu me prêtes ton bras et tes yeux on pourra même aller un peu plus vite. Je dois passer récupérer mon vieux bâton d’aveugle, je garde le chien, un sac et on est parti. Mais je ne te force à rien. »

Je penche la tête de côté, en attente de sa réponse.

Je fronce les sourcils dans un premier temps pour prendre la pleine mesure de sa révélation. Evidemment que ça a fait du grabuge, dire qu’on a dénoncé des mages alors qu’on se trouve dans une école de mage c’est un peu comme dire qu’on est un boucher au milieu d’un troupeau de vache. Je n’insinue pas que les autre élèves sont des vaches, vous avez compris l’image. Je finis par esquisser un rapidement haussement d’épaules.

« Chacun a son histoire. Je ne juge pas, je ne connais pas ton vécu. On fait tous ce qu’on peut pour survivre, c’est la jungle, puis je ne connais personne qui est allé dans les camps, ça limite les traumas. »

J’en suis d’ailleurs particulièrement heureuse. Après tout, je n’ai connu que mon frère comme mage et j’aurais pu me rendre et aller aux camps aussi si jamais il s’était fait prendre. Donc effectivement, pas de passif et donc un jugement sûrement moins sévère que les autres.

J’attrape le bras qu’il m’offre et le suis jusqu’en dehors de la forêt. Je le lâche quand on arrive sur un terrain bien moins accidenté. J’ordonne un rapide « maison » à Hamtaro et le laisse faire son travail. Il serait con de laisser mon pauvre chien d’aveugle au chômage. Je hoche la tête quand il me laisse devant la porte.

« Je pense qu’on va accomplir de grandes choses ensemble Mordy. »

Je rentre rapidement pour aller chercher mes affaires. Je me prends la table et dans ma désorientation je commence à ouvrir une porte avant de me rendre compte que ce n’est pas ma poignée. Je me suis évidemment trompée de chambre. Je fais demi-tour et fini par trouver l’entrée à tâtons. Je prends un sac à dos que je remplis de conneries, un portefeuille mais sans mes papier, un foulard, des chargeurs, tout ce qui pourrais être pénible si une potentielle fouille. Je ressors avec mon bâton et mon chien avant de ressortir dans le couloir, attendant Mordred.

Je le suis en réfléchissant. La connaissance des boutiques serait effectivement un bon point de départ pour un premier vol, histoire de ne pas commencer par le client le plus difficile. On fait les choses dans une difficulté croissante, ne jamais s’attaquer au plus dur en premier.

« En général je déambule dans les rayons en touchant les produits pour faire comme si je voulais prendre des choses. Le plan A, comme je te disais, je distrais. Je vais demander de l’aide aux vendeurs, pour qu’ils m’aident à trouver les produits dont j’ai besoin. Si besoin d’une très grosse distraction, je peux renverses des trucs ou perdre Hamtaro dans le magasin. »

Je réfléchis un peu. Ça c’est le plan A, il a toujours assez bien fonctionné. Mais il nous faut un plan de secours. Je me plonge dans mes pensées, en plein réflexion. Je prends ce vol très au sérieux, tant qu’à faire les choses autant bien les faire.

« Plan B, s’ils ne m’aident pas ou trop peu longtemps, je pose mon sac à un endroit par terre, toi le tien que tu as rempli d’objets, on échange. Je sors tranquillement. Si jamais ça sonne, qu’on vient me demander des explications, je joue la carte de la jeune femme perdue à qui on a joué un sale tour. Si ça passe pas, je pleure. En général ça suffit. Il vaut mieux que ce soit moi qui sorte avec des objets si leur attention n’est pas détournée plutôt que toi. »

Je sens mon chien venir de nouveau se coller à mes jambes alors qu’on est dehors. Il me décale du chemin des gens et m’oriente de façon à ce que je ne sois pas trop à la traîne.

« Je peux aussi demander à mon chien de prendre quelques trucs en particulier, il sait faire. Je peux voler, le souci c’est que je volerai au hasard et des éléments qui n’ont pas forcément d’importance. C’est pour ça que je fais souvent la distraction, je fais ma liste de courses aux voleurs au préalable. »

Et j’influence la chance si ça tourne vraiment mal. Mais je ne veux pas le proposer immédiatement à Mordred, simplement que ça reste une solution de secours.

Je réfléchis rapidement à la question de Mordred devant la boutique. C’est vrai que je n’ai pas spécialement besoin de quelque chose, je vole juste pour l’adrénaline et le kiff. Mais si lui se trouve une raison de voler, il faudrait peut-être que je fasse pareil. Humm…

« Des trucs pour Hamtaro, des jouets ça peut être sympa. Et puis sinon, fais-toi plaisir, prends des trucs utiles à une aveugle, ça pourrait être drôle de voir ce que tu me ramènes. J’avoue avoir un petit faible pour les trucs qui s’écoutent, ou qui servent à écouter. Ou alors des choses à construire avec ses mains… »

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai rarement volé pour moi, je n’ai pas besoin de grand-chose. Les fringues, j’ai les mêmes depuis des années et de toute façon, même si je fais attention à ce que j’assemble, ce n’est pas ma priorité. Je ne cuisine pas beaucoup, ne dessine pas, n’écrit pas à la main et je mange peu. Ça réduit assez drastiquement les possibilités de vol. Je réprime un sourire quand il précise qu’il parle au chien. C’est un peu maladroit, je ne suis pas assez stupide pour ne pas avoir compris, mais j’apprécie son attention. Je lui fais un sourire en coin.

« J’adore la façon dont tu parles à ton chien. Si jamais tu as besoin, tu me dis juste Hamtaro, je te l’enverrai. Tu verras, je me suis permise de lui apprendre un petit tour sympa. Je suis chaud pour les vêtements, mais là tu vas devoir faire preuve de bon coup. »

Parce que même si je ne vois rien, je n’ai pas envie de finir avec des vieux vêtements tout pourris.

« Mais avant ça, allons berner ces pigeons. Admire un peu le travail. »

Je m’avance d’un air qui se veut volontairement perdu, agitant un peu le bras dans le vide comme pour me retrouver. J’entre et commence à errer dans les rayons avant de d’ordonner un « fais tomber » à Hamtaro à voix basse. Je l’entends partir, suivit d’un immense fracas. J’entends des pas de course derrière moi alors qu’un vendeur s’adresse à moi avec une voix tendue.

« Mademoiselle ! Ce… » je me retourne et je le sens s’interrompre. Parfait. « Excusez-moi je… je ne… enfin… »

Je lève la main pour le couper d’un air furibond. Je parle d’une voix forte afin d’attirer l’attention sur moi.

« Oui bien sûr ! Vous voyez une aveugle entrer mais personne ne vient l’aider, et en plus vous alliez me faire des reproches. J’exige de parler à votre responsable ! Maintenant ! Ainsi qu’à vos collègues, j’aurais quelques mots bien placés à leur faire passer ! »