J’adore la forêt ! M’y promener seul, avec Phil ou avec Plou. Prendre tout l’air possible dans mes poumons. Sentir les arbres et autres plantes. Grimper, dormir. Si possible pas les deux en même temps. J’ai déjà trouvé une branche très très confortable, comme un siège, sur laquelle je me suis assoupi tellement j’étais bien. J’ai fini par me réveiller parce que j’avais trop froid. Heureusement que je suis pas tombé. J’y ai pas pensé sur le moment mais ça aurait pu. J’aurais eu l’air bien con de me péter un bras juste parce que j’aime dormir partout. J’aime particulièrement être en contact avec les arbres. Comme si je faisais un câlin à Phil à travers eux. Ils ont un peu son odeur. Parfois, je me dis que ce serait sympa de leur glisser des mots doux pour qu’ils les transmettent à Phil. J’ai déjà essayé et j’ai fini par m’excuser à répétition auprès de la plante parce que je me suis embourbé dans des explications compliquées.

Pour la balade actuelle, je suis moins concentré sur les arbres et plus sur Plou qui se promène avec moi. Il est plus habitué à l’énergie de Phil mais adorable comme il est, il s’adapte à ma lenteur et mes jeux moins dynamiques. Ça s’arrête pas là ! Ce bébé d’amour se précipite systématiquement vers moi quand je me ramasse. C’est courageux de sa part étant donné que je me gaufre au moins 3 fois en 20 minutes, finissant avec le pantalon terreux au niveau des genoux et les mains égratignées. Marcher, un sport de tous les dangers. On sous-estime beaucoup les risques d’un manque de coordination et d’attention.

En parlant d’attention, la mienne est piquée par la silhouette que j’aperçois au détour d’un chemin. Je le reconnais pas tout de suite, c’est seulement quand Plou se précipite sur lui que je capte qu’il s’agit de Mordred.

Zut.

J’ai aucune idée de comment me comporter avec lui. Depuis le live, je me suis pas préoccupé de savoir comment il allait ni de déterminer ce que je ressens à son sujet. On en a parlé avec Phil mais… C’était un peu difficile d’accepter une présence anciennement aussi menaçante dans l’école. Un peu seulement. Après il y a eu les communiqués officiels de l’académie sur la situation, justifiant que Mordred a sa place ici et qu’il n’y aurait jamais mis les pieds s’il avait été un danger pour nous tous. Il l’était dans sa vie d’avant, mais avant, c’est terminé. C’est son passé.
Ça règle pas mon problème de savoir comment lui parler. L’entendant rouspéter à cause de Plou, je me dépêche pour les rejoindre.

« Plou !! Laisse Mordred tranquille, tu vas mettre de la bave partout sur lui ! »

Je m’accroupis à côté du chien pour détourner son attention, mais ça détourne aussi ses coups de langues.

« Oh non berk, pas ça. »

Je m’écarte en riant puis j’essuie mon visage dans ma manche, mi-amusé mi-dégoûté. Sans regarder Mordred, je lui fais un sourire et essaie de me montrer le plus sympathique possible.

« Sa… Bon… Bonsoir ? Bonjour ? Oui voilà, bonjour ! Désolé pour Plou, il est content de trouver quelqu’un. Comment tu vas ? Ça fait longtemps ! C’était trop bizarre de pas te croiser dans le couloir, mais pt-être que t’as pas très envie de sortir. Ça se comprendrait. Euh… Je veux pas dire que tu dois pas sortir parce que les gens veulent pas voir ta tête. Pas que les gens veulent pas voir ta tête… Ou… Hm… Je sais pas… C’est pas le cas de tout le monde en tout cas ! »

Euh. Euh ??? Me promener avec lui ?? Il veut m’insulter en regardant les arbres ? Me pousser dans un fossé ou dans l’eau ? Est-ce qu’il sait que je sais pas nager ??! Paniqué, je hoche la tête et la secoue en même temps. Franchement c’est flou, ma réaction est complètement éclatée.

« Je sais pas nager. »

Attendez merde, c’est pas ce que je voulais dire. Il me regarde, je croise son regard, et je détourne aussitôt les yeux en me rendant compte que je ne comprends rien à son expression faciale. Son aura indique l’incompréhension. Pas de jugement je crois.

« Euuuh, je me suis embrouillé. Pardon. Je voulais dire oui, ok, top, avec plaisir. »

Je me croyais capable d’être à ses côtés sans appréhension, avec cette philosophie du passé c’est le passé. En fait, je me suis gouré. Être seul en forêt avec lui m’angoisse. La peur irrationnelle monte et me chuchote qu’il pourrait me faire sortir de l’école pour me dénoncer à tout moment.
Enfin… ça reste ce que c’est : pas cohérent. Son aura est teintée de tristesse, un peu brisée. Des taches d’angoisse tapissent le bleu, intenses. Ça me peine plus que ça me réjouit de voir ça, et ça balaie mes angoisses surtout. J’appelle Plou pour qu’il nous rejoigne puis j’adresse un sourire rayonnant à Mordred.

« On y va ? »

Il hoche la tête et m’emboîte le pas.

« Je voulais te dire, au fait… Um… »

Les mots me manquent, alors je lui pat pat la tête de manière super gênante. Il s’écarte directement, son aura rouge pétant.

« Pardon !! Désolé ! J-j’avais pas les mots, je savais pas comment te dire que je suis de ton côté. Pas genre comme à la guerre, mais pour te soutenir. Donc comme à l’hôpital parce que là-bas y’a plein de béquilles. Mais je veux pas être littéralement une béquille tu pense bien. Euh… Même en métaphore c’est bizarre parce qu’on se connaît pas trop… Mais en gros je t’apprécie et je veux qu’on soit ami pour que tu sois moins seul ! »

L’aura vire à l’amusement et je soupire de soulagement.

Aura noire.
Pourquoi ? Il n’aime pas parlé de ce qu’il a vécu ? Je l’ai juste mentionné, rien de dramatique. Par réflexe, j’essaie de prendre sa main pour le rassurer mais il l’écarte brutalement en marmonnant. Je sais pas si on lui a déjà dit qu’il a des allures de petit vieux. Faut pas que je lui dise ça, j’ai aucune envie d’ajouter du rouge au noir qui l’entoure. Ça ferait une bonne chanson pourtant.

« Pardon.
-Je n’aime pas le contact physique. »

L’inverse de moi.

« Parfois ça fait du bien pourtant. »

Il grimace, caresse Plou plutôt (et pas Plou Pluto). Je souris.

« C’est pas pareil avec les animaux ? »

Il secoue la tête, son aura passe à la réflexion. Mon pouvoir ne cessera de m’émerveiller, j’adore voir toutes les nuances qui composent une personne.

« Non. C’est plus facile et plus doux. »

ça se voit qu’il a jamais fait l’amour avec Phil. Je vais pas lui proposer de s’y mettre, ça m’étonnerait que ce soit sa tasse de thé. Littéralement parce qu’il préfère sûrement le thé au sexe.

« Plus doux que tes partenaires amoureux ? »

Son aura devient bleue comme la nuit. J’ai merdé ?

« Non. Ce n’est pas la même chose. Je n’accepte que les contacts des personnes que j’aime. »

C’est long et compliqué de changer les mauvaises habitudes. Je préfère conseiller les autres en espérant qu’iels soient pas trop regardant.es sur mes propres faiblesses. Je m’agenouille pour faire des câlins à Plou quand il revient avec le bâton, trop fier de ce chien qui s’éclate avec le minimum. On devrait s’inspirer des animaux pour vivre, des fois. Sans se prendre la tête, sans hypocrisie. Juste se détendre dans un monde vraiment très beau. Quand on est humain on réfléchit trop. Mordred fait partie de ces gens qui turbine constamment et ça se voit. J’ai l’impression de me balader avec une usine à penser. Même si je l’entends pas, ça se voit. Pas à sa tête. J’en sais rien de son expression faciale.
Ne voulant pas m’éterniser sur les sujets pesants, je change sans aucune délicatesse.

« Phil m’a dit que tu pensais adopter !! »

Au brusque virement de couleur de l’aura, je capte que j’ai mal formulé ma phrase.

« Adopter un animal. Pas un bébé. Tu veux adopter un bébé ? »

Oh bordel, j’ai jamais vu cette couleur sur quelqu’un.

« Euhm… J’arrive pas à savoir si tu es très emballé pour adopter ou pas du tout. »

Il répond assez sèchement.

« Absolument pas. »

Ah ok. Je connais mal son train de vie avec Saph mais ça m’étonne pas trop. Je l’imagine pas forcément mettre son enfant au congélateur mais… Euh… Il devrait attendre quelques années avant de s’occuper d’un autre être humain. Sauf s’il a une grand-mère en fin de vie dans un coin perdu de France.

« Ouais je comprends les grands-mères c’est difficile d’entretien. »

Il a la couleur de l’incompréhension et je ne comprends pas pourquoi jusqu’à me rappeler que le propos de base n’a rien à voir avec ma phrase.

« On te dit jamais que tu es dur à suivre ?
-Si, tout le temps. J’arrive pas à me concentrer. »

Yay !! J’adore la ferme, c’est l’endroit le plus magique de tout l’école. Principalement parce qu’il y a plein d’animaux et qu’on peut les caresser. Plou venant de là-bas, il est à l’aise avec ses congénères et on ne lui refuse jamais l’accès. Le pas sautillant, je guide Mordred jusqu’au fameux lieu. On parle beaucoup sur le trajet. Ou plutôt, il pose BEAUCOUP de questions. Il les pose une à une depuis qu’il a compris que je retiens vraiment rien s’il les pose en tas.
Quand on arrive à la ferme, je m’éparpille immédiatement parmi les animaux. Ils sont beaux et doux, c’est des amours que j’aime même si je les connais pas ! Habitué du lieu, je parle au personnel présent. J’en profite pour présenter Mordred et son aura de gêne intense. Je le présente pas comme ça ce serait horrible pour lui. C’était pour dire qu’il est gêné vous avez compris.

Aussitôt, il dégaine ses questions. Comme j’ai déjà la tête trop pleine de ses mots, je m’éclipse pour caresser les lapins.

« Eizh. Aurais-tu une cravate à me prêter ? »

Une cravate… Je plisse les yeux, perdu.

« Pour Athéna. »

J’oublie que Mordred a beau avoir l’air sérieux, il est aussi bizarre que tout le monde ici.

« Pour la présenter à Saph. »

Ah, ça fait sens ! C’est bien d’y mettre les formes !

« J’en ai pas mais Phil en a sûrement ! Tu veux qu’on passe par chez moi avant ?
-Je veux bien oui, si ça ne te dérange pas. Peux-tu également m’aider avec toutes les affaires ? Je pensais pas qu’il y en aurait autant.
-Pas de soucis. On s’est fait avoir avec Phil aussi. …On se fait souvent avoir en fait. C’est fout comme on a pas assez de main pour porter tout ce qui nous fait envie ! »

Ou alors on a un problème pour se réguler. C’est possible aussi, on craque facilement pour n’importe quoi. Mordred ayant fini avec ses messages, on ramasse tout direction chez moi ! Il a l’air plutôt content d’avoir un chien. Son aura a complètement changé de couleur. Je parle pas trop sur le trajet pour le laisser s’habituer à cette présence. Parce que même s’il est content, il a pas trop l’air d’être en confiance.
On pique une cravate à Phil une fois chez moi et il nous suffit de faire trois pas pour être devant chez Mordred. Je pose les affaires.

« ça va aller. »

Il hoche la tête.

« Oui, merci beaucoup. »

Il a l’air d’hésiter à dire un truc. Je sais pas si c’est ce que moi je m’apprête à dire :

« Hésite pas à nous proposer des balades avec Plou, ça lui fera plaisir et à Athéna aussi. A plus tard ! Trop sympa de te voir enfin ! »

Le voir vraiment je veux dire. Il a plus de couleurs qu’avant, même sans parler du chien.