Il n’y a pas si fort longtemps, dans une forteresse cachée aux yeux du monde, vivait une serpillère nue comme un ver sous son peignoir de la couleur homonyme. Cette serpillère s'appelle Alphonse de Villeneuve, ou plutôt Phonse dalle de ville usée aujourd’hui car tu n’es que l’ombre de toi-même. Or tu est fait pour briller comme un soleil, tout en sachant que les étoiles n’ont pas d’ombre. Alors, si on t'éteint, qu'est-ce qu'il restera ?

Hier était, sans nul doute, le pire jour de ta vie. Tu pensais que c’était celui où tes parents t’avaient dit qu’il serait intéressant que tu te maries. Ou celui où tu avais fait tomber une carte magic collector dans la cuvette des WC en essayant de grimper le mur en ayant un pied et une main de chaque côté (pour ta défense, c’est la pièce de ton appart ou les murs sont les plus étroits, et à l’époque, tu gardais toujours la carte sur toi pour la protéger). Eh bien voilà. « Hier » à détrôner tous tes pires « aujourd’hui » précédents.

Tu n’avais jamais eu aussi mal. Tu n’avais jamais eu aussi peur. Tu ne t’étais jamais noyé dans une telle incompréhension lorsque les pacificateurs t’on questionné suite à l’incident. Tu n’avais jamais ressenti autant de doute vis-à-vis de ton avenir qui semble de plus en plus s’inscrire entre quatre murs si tu continues à te montrer aussi inactif.ve face à tes problèmes.

Tu as dormi tout le soir de votre sortie au musée. La nuit quant à elle, tu la passes éveiller. Trop de questions se bousculent dans ta tête. Trop d’images te reviennent en flash. Chaque fois que tu te téléportes accidentellement, tu sursautes comme si tu avais fait quelque chose de grave.

Tu tiens donc ton esprit le plus occupé possible pour penser à autre chose. Drag race en programme de fond à vue se succéder des tests de mélange culinaire impropre à la consommation (mais consommer quand même), des tentatives de skate en intérieur, une volonté de mixer du son qui s’est transformé en une sorte de transe comateuse ou tu appuyé sur une touche de clavier sans aucun autre but qu’entendre un son. Tu as réessayé la siestes. La journée a continué sur le même rythme puisque tu es en arrêt. C’est une bulle hors du temps que t’es fabriqué, pour tourner en rond.

Mais ce qui t’a sortie de là c’est un SMS de Balza. Tu as eu peur qu’elle te demande des nouvelles pour hier, mais son message ressemble à ceux de d’habitude. Ouf. Tu peux sauter la première question sans éveiller d’inquiétude qui mettrait tout le monde mal à l’aise, et répondre à la suite.

Tu as bondi sur l’occasion : tu n’aimes vraiment pas l’idée de te laisser abattre. Tu veux devenir une étoile montante, pas un chêne en fin de vie, et la perspective de voir Balzamina te remplit de joie. Ça te sortira de ton cycle infernal, c’est ce qu’il te faut.

Bon. Par contre. Ta tête fatiguée et le peignoir, c’est pas poss’. Tu t’attelles à te remettre en état avec une jolie robe pin-up, des talons, et beaucoup de maquillage. Pour un eyeliner graphique, certes, mais surtout pour cacher ta pâleur de prisonnier et tes cernes sous une belle couche de fond de teint. L’illusion fonctionne. Tu te mets en route en… Marchant. Oui. C’est rare. Pas de bond sur les murs, de skate, ou de téléportation. Ça témoigne passivement d’à quel point tu es secoué et fatigué.
Arrivé devant sa porte, tu toques.

« Balza ! C’est moi, j’entre. »

Jusque-là tu fais un peu comme d’habitude. Tu souris. Être ici te recharge de l’énergie perdue ; l’adrénaline t’alimente, mais au moins, tu es alimenté par quelque chose.

« Hiiii, merci de m’avoir invité, ça me fait trop plaisir ! Alors, comment tu vas ? Le tablier c’est pour quoi ? De la cuisine ? De la couture ? Une course en marchant sur du tissu ? »

Tel le roseau s’apprêtant à exécuter son meilleur limbo, tu avances légèrement arquer en arrière à cause de ta hauteur et des mains qui te cache les yeux. Si les talons sont réputés pour donner une démarche féline, la tienne est actuellement plus proche d’une autruche inversée avec des chaussons (l’analogie est un peu technique, mais ton cerveau ne visualise rien de plus proche).

Tu te demandes ce que va être la surprise. Une pièce montée ? Oh. Une pièce mon thé. Hon hon. Un euro avec plein de bouteilles « My tea » empilé dessus. Ou une collection de tabliers ? Et le but c’est de créer une robe en les utilisant. Ou alors de la peinture ou peut-être…

«  TADAAAAAAA ! C’est création de cocktails !!!!
— HAAAAA, c’est exactement ce que j’allais dire, je pensais pas du tout à du Painball  - comme une variante du paintball avec des baguettes concept qui doit absolument être développées- !!! »

Le but serait par exemple de faire de petites boulettes de mie à propulser à l’aide d’un pistolet en forme de pain de campagne. Idéal pour convaincre les touristes de passage en France.

Mais tu plancheras sur le projet plus tard parce que Balza est une GÉNIE.

« Omggggg Balza, mais c’est génial !!! J’adore mélanger des trucs ! Toi aussi ?? Je savais pas ! »

Tu sautilles sur tes talons, secoues tes mains et commences à vibrer de hyper à une fréquence qui risque de briser le verre qui vous entouré. Tu tends la patoune et te ravises. Tu as envie de toucher à tout, mais il faut pas. Parce que tu n’es pas chez toi ? Hahaha non, tu es au-delà du concept de politesse depuis bien longtemps. Non, parce qu’il y a peut-être des règles du jeu. Des objectifs.

« Ouhla pardon j’ai failli me jeter dessus haha, mais y’a peut-être des règles du jeu ? Des contraintes ? Des objectifs de cocktail ? »

Balza est en train de totalement chasser ta fatigue tant par sa présence rayonnante qu’en te lançant sur des choses qui te mettent de bonne humeur. Tu es prêt à tenter des cocktails en faisant le poirier s’il le faut.

Ça y est, la machine est lancée, et chacun.e votre tour vous souffler sur l’hélice pour la faire accélérer.  Il a suffi d’une question pour que démarre la surenchère des idées avec des concepts merveilleux. Tu double-clap tes mains au ralentie pour ponctuer ta hype.

« J’A-DORE. Omg, t’es la meilleure, jamais l'humanité n’a jamais connu telle sagesse. »

Sans exagérer, ces idées sont géniales. Il faudrait aussi que tu en trouves d’ailleurs !

Ton cerveau se met à turbiner, le problème c’est que quand tu es aussi excité que fatigué, ça ne tourne pas très bien. Tu n’arrives pas à avoir d’idée logique, et se bouscule dans ta tête un flot chaotique de concept qui se marche les uns sur les autres sans établir de sens commun. C’est le bruit de la foule d’un concert, sans la musique pour donner une direction.

Tu plisses les yeux, peinant à réfléchir.


« HMMM. Course, mains, chansons, texture, ingrédient… Une course face à face ou on doit réaliser un cocktail sans les mains ? Ou alors, faire le cocktail avec le plus d’ingrédients possible sans que ça déborde ? On pourra danser aussi ! … Ou un ingrédient de chaque couleur ! Au pire, notes en vrac et go with the j’ai trop envie de commencer ! On fait un cocktail avec tes bras ?? »

Tu t’es mis sur ton 31 pour maintenir l’illusion, mais contrairement à ta tenue, tes propos sont complètement décousus. L’adrénaline n’est pas aussi efficace qu’une nuit correcte de sommeil, et ce n’est pas parce que tu sautes sur place comme un marteau-piqueur que ton corps a encore de l’énergie. Mais là encore, tu ne l’écoutes pas. De la même façon que, ado, tu monter le son des basses pour noyer les protestations de tes parents, tu préfères augmenter le son de la joie intense dont te nourrit cet instant simple pour qu’elle couvre le reste de tes émotions.

Balza allume le son et… Sorcellerie !!! Diablerie !! Te voilà probablement victime d’un fieffé maléfice, car ton corps se met à réagir de façon instinctive aux alignements rythmé de note qui se succède. Tu te déhanches, tu te balances, possédé par la fièvre de la danse. Douce maladie contagieuse, car Balza elle aussi se laisse portée par le tempo et tu nous pouvais pas être plus heureux.se qu’en la voyant danser.

Vous chalouper tous les deux jusqu’à ce qu’elle lance très officiellement les jeux de ce soir. Tu es donc le premier challenger pour le cocktail sans les mains (peau de lapin).

Balza se glisse dans ton dos, ses bras autours de ta taille. Tu es um grand habituer du contact physique ; tu es tactile, tu performes des danses de salon impliquant une grande proximité avec les partenaires, bref, ça t’est naturel. En principe, tu ne le relèves pas plus que ça, mais étrangement tu réalises à cet instant que tu n’as jamais été aussi proche de Balza.

La constatation étant peut-être éveillée par la nature inhabituelle du contact : on s’accroche rarement dans ton dos. Mais tu note que c’est très loin d’être désagréable quand c’est Balza ! Tu trouves ça plutôt doux et plaisant. Si tu devais poser des mots dessus…

« C’est marrant cette position, c’est comme avoir une carapace sauf que ta carapace c’est quelqu’un et que je suis un peu vive pour une tortue. Et en plus j’ai des pouces préhenseurs. Donc rien à voir en fait, mais j'aime bien. »

Merci pour ta sagesse, Al. Sur ces paroles qui ont chamboulé l’ordre établi du monde, tu te concentres. Parce que vous êtes là pour gagner. Gagner contre quoi ? Tu l’ignores, mais préfères l’esprit de compétition quand il n’y a pas de compétition, tu trouves ça plus good vibe.

Tu mets les mains de Balza sur tes avant-bras puis bug : c’était ces bras à elle dans la consigne ? Houlala tout est si difficile à suivre ce soir quand il y a plus de deux phrases qui se succède. Tu changes donc de politique commerciale et attrapes ses bras à elle : initialement pour la guider, dans les faits tu passes bien trente secondes à viber sur la musique en balançant les poignets de ton amie de droite à gauche en rythme.

« Quelle danseuse née Balza, waw ! » Le livre glisse à cause d’un coup de hanche accidentel à la table « Ouhla quel maladroit.e. Ah oui les cocktails… Alors alors… Heu… Bâbord toute ! Là stop ! – Oui – Non pas le saladier haha, la bouteille. Exacte ! Et approche doucement du verre doseur à 12h, voilàààà - Tu penses pas plutôt que c’est un qualificatif de montre, dose heure ? Là on mesure du liquide, c’est pas du tout logique – OUPS PARDON J’AI OUBLIÉ DE TE DIRE STOP- »

Que les dieux du cocktail aient pitié de Balza, car tu es clairement partie pour l’embarquer droit vers la catastrophe.

Vous n’êtes pas des mixologistes. Vous êtes des artistes. L’œuvre qui vous fait face est sans précédent et pourrait créer un tout nouveau mouvement parmi la grande vague de l’art figuratif. Des mélanges de liquides aux couleurs vives, agrémenter de matière pour donner de la texture au tableau. Oui. De l’art.
Il y a des choses explicables, comme les mauvais dosages des différents liquides. Des choses qui le sont moins. Comme les aliments à l’intérieur des verres. Vous vous êtes surpassé.e.s tout.e.s les deux.
La remarque de Balza te fait rire et lorsque tu la vois zieuter par-dessus ton épaule, tu t’écartes avec un geste magistral pour présenter la table.

« Tadaa ! C’est là toute la magie du truc Balza : l’un n’empêche pas l’autre. On va pouvoir gouter même si tout est sur la table. On est des artistes. »

Tu la regardes avec un double haussement de sourcils fier.e. Puis fixe la nappe. Attends, mais ta phrase est cheloue un peu, non ?

« Je précise : le message c’est qu’on va pouvoir gouter même si on a mis une bonne partie au sol, pas qu’on peut boire directement sur la table même si c’est pas totalement impossible vu son état. »

Tu attrapes les deux verres et en tends un au hasard à Balza.

« Je te laisse celui avec la tomate, je prends celui avec la farine. À la tienne partenaire !! Et au nom de l’avant-gardisme culinaire. »

Tu comptes savourer d’abord. Mais. Eh. Tu as le palais sensible. C’est pour ça que tu manges au self ou que tu achètes des plats, tu es bien incapable d’avaler ce que tu cuisines.

Ce cocktail entre dans cette catégorie, alors, cul sec. Si tu laisses cette chose t’attarder dans ton gosier, tu vas avoir des séquelles, c’est sûr. Erk. Erk, erk, erk.

Tu poses le verre ris, et tousse en même temps à cause de la texture ignoble de votre création.

« Uark. Wow. C’était. Ça avait le gout de son apparence. » Tu lui laisse juger de la nature bonne ou mauvaise de cette nouvelle. « Et toi ?? »