Il y a 15 ans, deux femmes arrivèrent à Leoska, l'une d'entre elles -la plus jeune- tenait un bébé dans les bras.

Elles se présentèrent, ainsi que le nouveau-né, sous le nom d'Hecate et, manifestement épuisées, demandèrent refuge à l'établissement.

Elles étaient des mages en cavale. Enfin, une mage en cavale. Une seule personne dont le don inné était lié à la reproduction, la multiplication du vivant. La plus âgée, qui avait alors une soixantaine d'années expliqua qu'avec sa magie, elle avait, il y a des années de cela, créé son acolyte, avec qui elle maintenait un lien mental et magique. Elles étaient, selon bien des aspects, une seule personne dans deux corps.

Elles avaient survécu, seules, ensemble, pendant des années, ne restant jamais longtemps au même endroit, la plus jeune apprenant de la plus âgée, la plus âgée veillant sur la plus jeune. La compagnie de l'autre leur suffisait, lui suffisait. Elle n'avait que peu de contact avec le monde extérieur, limitant les échanges, elle limitait les risques. Lorsqu'il fallait cependant échanger avec d'autres personnes, pour simplifier les échanges avec les possibles interlocuteurs, elle utilisait des surnoms pour se différencier. La soixantenaire était ainsi nommée Hecate Alqamar, l'autre était Hecate Fengari.

Le processus de clonage avait encore eu lieu très récemment, donnant naissance à la petite enfant qui dormait paisiblement. Elle avait décidé de l'appeler Hecate Mehtap.

Cet acte magique était complexe et avait pesé très lourd sur les deux femmes qui n'étaient pas en état de continuer leur constante fuite, il leur fallait un refuge, le temps de récupérer, au moins. Le temps, peut-être, que la nouvelle venue soit en état de les suivre.

Cela faisait près de trente ans qu'elle parcourait le monde, elle avait entendu des rumeurs sur l'Académie Leoska, sur sa directrice et, dans leur situation, ce lieu leur avait semblé idéal.


C'était il y a 15 ans.

Hecate trouva sa place à Leoska, elle put se reposer, se sentir en sécurité, pour la première fois depuis des années. Peut-être même simplement pour la première fois de sa vie.

Le bébé grandit, elle devint une jeune fille heureuse, elle put rencontrer de nouvelles personnes, se faire des amis. Ainsi, Hecate décida d'un commun accord de rester à l'académie afin qu'une de ses parts puisse y suivre son enseignement et une enfance aussi paisible que possible pour une mage.

Les deux autres tiers mirent la main à la pâte et furent embauchées comme archiviste, elle s'occupe des dossiers scolaires, documents qui pourraient s'avérer sensibles dans de mauvaises mains. On jugea que les siennes étaient bonnes, manifestement.

Hecate faisait preuve d'un respect solennel pour le passé des gens, veillant à ce qu'aucune information sensible ne puisse lui être soutirée, même par elle-même, au grand désarroi de la jeune Mehtap, qui aurait bien aimé enquêter sur ses petits camarades.

Avec trois consciences, il commençait à devenir de plus en plus difficile de ne pas utiliser ces surnoms pour s'identifier, notamment lors des discussions mentales qui avaient lieu régulièrement.

Aujourd'hui, Hecate Alqamar n'est plus autant en forme qu'avant, Hecate Fengari fait donc la majorité du travail physique d'archiviste, mais reste toujours à l'écoute de celle qui l'a élevée. Aujourd'hui, Hecate Mehtap est en seconde, elle est curieuse, elle est joueuse, elle est heureuse.

Elle ne pose pas beaucoup de questions sur son passé, sur sa vie quand elle n'était pas là. Ça tombe bien, car Hecate ne donne pas beaucoup de réponses. Parfois, Fen parle de la vie à deux, des anecdotes, quand elle voyageait avec Mar.

Mar, elle, ne parle jamais de sa vie d'avant Fen. Des fois, elle explique que le temps n'est pas encore venu, mais le plus souvent, elle reste silencieuse, l'air triste.

Et la jeune Mehtap n'aime pas se voir triste. Du coup, elle pose d'autres questions à la place. Sur comment on fait les bébés, par exemple. Parce qu'elle ne comprend pas trop ce qu'elle a vu en cours, ça colle pas avec ce que Fen et Mar ont raconté. Cette histoire de deuxième personne qui serait nécessaire, c'est n'importe quoi.