« Raaah. Y’a rien qui claque assez. »

La musique à fond dans mes appartements à en péter les tympans de mes colocs, j’ai foutu un chaos sans nom dans ma chambre. De toute façon, j’avais fermé à clef pour être sûr que personne ne vienne me gonfler ; si je ne les entends pas se plaindre alors c’est qu’il n’y a pas de problème. Toujours est-il que c’est bien beau de kiffer sur des basses et sur des solos de guitares à en faire vibrer les murs, mais je reste en brassière de sport au milieu de ma chambre sans savoir quoi enfiler. Pourquoi ? Et bah parce que je fais partie de ces énormes nulles qui veulent se faire belle pour épater quelqu’un, c’est tout. Je vois même pas pourquoi j’fais ça, ça ne m’arrive jamais. Enfin si, je vois pourquoi.

Ellie m’avait invité à passer la soirée chez elle, c’est pour ça que je fais ma fashionista, et c’est surtout pour ça que c’est encore plus idiot que j’agisse comme ça. Pour quelqu’un. Urgh, how stupid…

D’autant plus que ça semblait être quelque chose de plutôt poser en perspective, juste toutes les deux dans sa chambre. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’elle a prévu. Parce qu’autant au début, on se rejoignait dans une optique très peu platonique diront-nous, autant ce n’était plus forcément le cas depuis que nos échanges avaient évolué petit à petit pour devenir un petit peu moins physique. Un petit peu plus sentimental ? Hmm je ne sais pas si on peut dire ça pour autant. Dans les faits, je ne sais pas trop où on en est, mais ça ne va très bien comme ça, je n’ai rien contre les situations floues. En fait c’est même préférable à tout éclaircissement qui conduirait à mettre une étiquette stricte sur notre relation. Ça serait angoissant… j’aime les choses comme elles sont, garder une part de mystère et d’incertitude peut aussi contribuer à alimenter une relation, quelle qu’elle soit non ? Enfin c’est ce que je pense. De toute façon pour l’instant la question ne se pose même pas, on profite juste de l’instant, et tant mieux.

Perdu dans mes pensées, le regard dans le vague depuis 3 minutes, je n’ai pas bougé. Bon… est-ce qu’on ne s’en taperait pas un peu de comment j’me sape en fait ? Si. Carrément. Hop, ça part sur un treillis vert foncé, un trait de khôl pour souligner mes yeux déjà foncés, des rangers, un t-shirt simple et ça part en prod’. Je re-passe vite fait devant la glace et détache mon immense masse de cheveux à moitié dreader pour les ranger sur le côté, mettant ainsi en valeur mon side-cut et le début de barbe discret et entretenu sur la ligne de ma mâchoire. J’en suis super fière. Sur ce, je coupe la musique, jette sur mon dos mon sac d’affaires pour la soirée et file sans demander mon reste pour éviter de croisé qui que ce soit.

Étant donné la quantité d’élèves présents dans l’école, les dortoirs étaient repartis en plusieurs bâtiments. Je me rends donc à celui de Ellie, une écharpe sur le nez pour la bonne conscience face aux basses températures. La nuit était tombée tôt, faisant peser sur les extérieurs une ambiance agréable, entre l’acoustique nocturne apaisante et la luminosité grisante, laissant croire qu’à tout moment quelque chose pouvait surgir de l’obscurité. Déjà que cette soirée me rendait extatique, atmosphère finissait de me charger en énergie. J’adore la nuit. Surtout pour m’aéré l’esprit, à gambader dans les parcs, grimper aux arbres, et à faire du parkour pour le fun entre les bâtiments. Mais cette fois-ci ce n’était probablement pas envisageable si je voulais éviter de me présenter couverte de branche et - Ouai bon ok je n’ai pas tenue, j'ai complètement craqué en voyant que j'avais de l'avance.

Je me suis perdue en détours pour passer mon trajet à sauter des barrières, grimper sur des murs et marcher sur les hauteurs pour en sauter avec style. En salto par exemple, ce qui, de toute évidence en plus de ne pas encore être complètement un acquis, m’aura valu de belles éraflures sur la joue et le bras. Indeed, je me suis éclaté donc ce n’est pas grave ça fera… un style. Cependant... Hmm.
Je ne serais pas en retard ?

…

PAS ENCORE. Mais faut que je me grouille. Je file en vitesse jusqu’au bâtiment ou loge Ellie, dont je m’étais éloigné avec ma promenade. Je rentre en drift dans le hall, file au lavabo de la salle commune pour vite fait enlever les cailloux de mes éraflures, époussète mon jean et… let’s go. Je reste immobile un instant devant la porte de l’appartement, légèrement essoufflé par ma course effrénée. Je prends une loooongue inspiration, souffle et me recoiffe rapidement. J’esquisse un air guilleret plutôt rare, à la perspective de cette soirée. Naturellement, je m’accoude à l’encadrement de la porte façon belle gosse et toque comme une brute.

« Yo ! Ellie, c’est Saph, j’peux entrer ? »

En fait j’avais déjà commencé à ouvrir la porte du bout du pied, et il y a honnêtement de grandes chances que je n’attende pas sa permission si je n’ai pas de réponse d’ici les 5 prochaines secondes. Ou d’ici la prochaine seconde pour être plus précise.

« Évidemment Saph, tu es évidemment toujours la bienvenue, wow tu es incroyable ce soir, entre dont ! »

Je lâche mes mots sur le ton de la rigolade en prenant une autre voix, un immense sourire scotché aux lèvres. Oui je n’ai aucune patience et oui, je m’occupe très bien toute seule. Sans plus d’histoire je pousse la porte d’entrée, toujours appuyé nonchalamment sur son cadre.