Je hais les vacances parce que cela signifie que je rentre à la “maison” pour y passer deux mois. Ca fait deux jours. J’en peux déjà plus. Cette baraque me fout la gerbe, c’est horrible. C’est pas tant le décors qui tient franchement la route niveau standing. Non, c’est… Faut que je sorte.

Je passe dans le couloir comme une furie pour rentrer dans ma chambre où je décroche le combiné qui donne dans la salle de repos des employés. Ca décroche.

-Je sors en trotting dans 20 minutes. Sellez Silver Days.

Je raccroche, pas de temps à perdre à parler aux larbins j’ai autre choses à faire. Leur présence est l’unique chose réjouissante ici, ils permettent de se concentrer sur ce qui est important et pas sur les corvées quotidiennes mais ça n’est pas une raison.

J’ouvre mon placard et regarde ce que je peux me mettre pour sortir dans le parc de la propriété. Y’a pas grand chose, chier. J’ai pas assez ramené de truc de Leoska, j’ai à peine le choix. Ca m’agace.

Je sors les quatre pantalons d’équitation de ma garde robe, les huit polo et je les étale sur mon lit. J’aime pas avoir aussi peu de possibilités… Mais on va faire avec. Je sélectionne un ensemble crème et bleu et choppe la bombe la plus claire que j’ai. Puis je sors et me dirige vers la porte de la véranda qui mène aux écuries. J’entends un vague “bonjour mademoiselle” auquel je répond d’un signe de main en prenant mon téléphone pour checker si j’ai des messages. Le daron.

Ce soir vos grand parents nous rendent visite. Maria souhaite voir avec vous pour une tenue appropriée. Elle vous donne rendez vous à 18h, lavée mais démaquillée pour s’occuper correctement de vous. Soyez à l’heure.

Bien sûr. Comme d’habitude, c’est lui qui me passe ses messages parce qu’Elle ne supporte pas de me parler. Par contre pour contrôler mon apparence Elle est TOUJOURS présente. La condition c’est que je ferme ma gueule hein ? Toujours. En silence, Elle parle et j’écoute.

Je porte ma main à ma joue sans même m’en rendre compte. Les bleus, c’est complexe à maquiller, Elle m’épargnera au moins ça. J’affiche une moue de dégoût en rangeant mon appareil et continue mon chemin vers les écuries.
L’écuyer m’y attends, à côté du selle français dont il me tend les rennes. Je vais jusqu’au montoir, me hisse en selle et m’élance sur les chemins.

18h sera donc l’heure de ma fin. Elle et ses foutus parents pour lesquels Elle va se faire un plaisir de m'exhiber. Je vais avoir droit au cirque de tenues assorties et de minauderie sur ma beautée tout en étant traitée comme une jumelle accessoire, un joli chien qu’on cherche à mettre en valeur. Splendide. Qu’est ce que j’ai hâte.

J’arrive au premier croisement quand je me rends compte que je sais pas vraiment où je vais. Je tire sur les rennes de Silver Days pour l’arrêter, l’engueulant de plus belle quand il essaie de les reprendre. Je veux juste regarder le trajet que je vais faire, il peut pas rester immobile ce couillon ? Quand il arrête enfin de faire le débile je sors mon tel pour regarder par où je vais. Je vais passer par les vignes et je retournerai au parc par le nord, ça devrait m’occuper suffisamment longtemps.

L’équitation… C’est pas un sport que j’aime particulièrement mais avec le père que j’ai, j’ai bien été obligée de m’y mettre. Vu son haras, si son héritière n’avait pas été dans la profession d’une manière ou d’une autre, c'eût été une disgrâce.
Les arts martiaux par contre, c’est un vrai exutoire. C’est la seule activité où j’ai la possibilité de frapper des gens sans que ça ne soit une atteinte à ma noblesse, ma féminité ou ma réputation. Mais bon, des pompes et des katas je peux en faire dans la salle de sport, c’est pas une excuse pour sortir de la maison, le trotting si. Enfin trotting… Là, ça ressemble plus à une ballade qu’à du travail. On va au pas, je fais douze détours… Je suis sur mon téléphone la plupart du temps. L’autre mongol broute, il est content. Qu’est ce que c’est con les chevaux. Pacôme m’envoi des messages mièvres à mourir, c’est chiant. Je vais le larguer d’ici peu je pense, il est inutile et barbant comme la pluie.
Je passe donc une bonne partie de l’après midi à flâner en tentant de m’occuper tant bien que mal pour avoir l’impression de ne pas avoir à rentrer. Pourtant 16h arrive et il faut le temps de rentrer et celui de me laver. Le temps de rentrer…
Dans le creux de mon ventre se nouent un début de pleurs que j’enferme immédiatement. Puis, les yeux clos, je pose la main sur l’encolure de Silver Days en murmurant. Je sens ma conscience qui se partage, se fragmente, circule. Je sens ses membres, sa respiration qui sont désormais la mienne. Il est fatigué, le pauvre bichon, donc c’est moi qui vais prendre les commandes pour la suite.

Je veux bien accorder une chose aux chevaux, les posséder est quand même plus agréable que posséder un chien. Le mieux ça reste les oiseaux mais l’ivresse de la vitesse, de la masse d’un équidé en course c’est grisant. Ca permets de mettre le reste de côté : les claques, les humiliations… Tout ça. Tout ce que j’ai jamais demandé.

Maria de Lisancours, ambassadrice de grand couturiers, précieuse parmi d’autre, beautée au dessus des autres selon un certain nombres de gens, dont elle même. Elle. Celle qui avait eu la bonne idée d’avoir recours à la magie pour avoir une fille lui ressemblant presque parfaitement à deux trois détails près avec les yeux de… Les yeux d’Anatole, mon père. Elle a les yeux bleus, les miens sont jaunes et quand j’étais petite, c’était Sa fierté. Mais ça, c’était avant qu’Elle ne se rende compte que je serais toujours plus jeune qu’Elle… La descente aux enfers a commencé à ce moment là. Mais bon. Elle mourra avant moi et je vais toucher l’héritage.
Un père noble, une mère potiche de profession… Si Anatole clamse avant Elle, je paie quelqu’un pour qu’Elle disparaisse et être libre de disposer de la cinquantaine d’immeubles et hôtels que possède mon père. J’ai pas l'intention d’attendre la vie non plus et encore moins de la voir en disposer comme bon lui semble. De plus, tout cela me revient de droit et je me battrais pour qu’Elle n’y ai jamais accès.

En attendant j’allais devoir La supporter toute la soirée… Si Elle me frappait, cette fois si, je lui rendrait.

C’est en me disant cela que je passe le portail nord pour retourner sur le domaine. A 18h, la comédie commence.

C’est pas croyable comme j’ai la flemme. Vivement que les vacances soient finies, que je retourne là où j’ai ma place et mon presque trône.

Que je retourne à Leoska.